Aimer
les gens et prendre grand soin des choses
WANG KEPING
Aujourd’hui, les
humains sont de plus en plus conscients de l’impact de la dégradation
des conditions environnementales sur leur vie quotidienne. Tempêtes
de sable et de poussière, haut niveau de pollution urbaine, et écarts
de température, sont des phénomènes trop courants. La philosophie
chinoise offre des outils de conscientisation de la nécessité de
protéger l’environnement et de l’interrelation entre l’homme et
la nature.
Considérer les questions environnementales
en termes d'interaction entre l'homme et la nature est un thème
courant de la philosophie chinoise. L'un de ses principes les plus
fondamentaux est probablement ce que Mencius a appelé « ren
min ai wu »aimer les gens et prendre grand soin des choses.
Les conditions préalables pour vivre selon ce principe sont de comprendre
tianli − les lois naturelles −, et de cultiver
renxin − l’humanisme. Tianli peut également
signifier le tao céleste ou les principes de l'Univers, et renxin,
bienveillance et altruisme. Connaître tianli favorise l'utilisation
raisonnable des ressources naturelles, et cultiver renxin,
la pratique de traiter tout le monde et les choses avec la même
considération. Le premier exige l'étude des interactions entre
l'ensemble des choses, ce qui mène à la vision et à la perspicacité.
Le second exige la bonté et la sincérité. Tous les deux réclament
également un sens de la vocation et une conscience de la réciprocité
nécessaire entre les personnes et les choses. Les êtres humains
font partie de la nature et sont, autant que toutes les autres créatures
vivantes, sujets aux interventions qui affectent l'écologie entière.
Pourtant, même en étant conscients de cette situation, les humains
ont un impact négatif sur la nature: par exemple, en Chine, en accordant
une priorité au reboisement qui est loin d'être appropriée; en exerçant
un contrôle insuffisant sur l'élevage caprin au nom du bénéfice
financier. Dans l'éventualité où cette situation soit toléré indéfiniment,
les prairies mongoles deviendront complètement désertifiées, et
les tempêtes de sable et de poussière continueront de frapper les
régions de la Chine du Nord, causant des dommages dévastateurs à
l'agriculture et aux communautés vivant dans ces régions.
L'état d'esprit de l'humain et son
aptitude à penser et à raisonner jouent donc un rôle essentiel dans
la vulgarisation à la fois du tianli − ou, pour ce
cas, de la conscience environnementale, et du renxin en tant
que bonté, et finalement de la sincérité. C'est cette combinaison
qui encourage à aimer les gens et à prendre grand soin des choses,
que ce soit sur des fondements socio-culturels ou de préservation
de l'environnement. Quand l'esprit se concentre seulement sur le
bien-être des humains, il oublie le danger de la surexploitation
des ressources naturelles. Les conséquences d'avoir de telles œillères
sont évidentes : le développement écologique a été déséquilibré
et la menace pèse sur l'environnement. Le désastre environnemental
des prairies désertifiées − conséquence du surpâturage* −constitue
un exemple en Chine; il est à la source de l'augmentation récente
des tempêtes de sable et de poussière. Ce cycle infernal appelle
à cultiver vigoureusement renxin − avoir l'esprit
plein d'humanité −, et tianli -- la conscience environnementale.
La stratégie en trois étapes
Pour cultiver ces valeurs, il y a trois
étapes essentielles. La première, prendre conseil de Zhang Zai :
« da qi xin, yi ti tianxia zhi wu » . C'est une attitude
fondamentale. « Da » signifie « grand »,
l'opposé de sa contrepartie binaire « xiao », ,
signifiant « petit »; « xin » fait référence
à « renxin », une mentalité humaine. Par conséquent,
« da qi xin » suggère que les êtres humains font
l'impossible pour, littéralement, « rendre l'esprit grand ».
En théorie, l'esprit est assez vaste pour embrasser l'Univers entier
. Pourtant, on dit que l'Univers ne se borne pas à l’espèce humaine
ni ne s’en sépare, pourvu que l'espèce humaine se modèle sur lui.
Bien sûr, ce rapport esprit/Univers est métaphorique/spirituel,
plutôt que cosmique/physique. La quête transcendantale des humains
peut rendre leur capacité mentale beaucoup plus grande et plus vaste
que tout, et permettre ainsi à l’humanité « d'éprouver et de
comprendre le véritable état de toutes choses sous le ciel, dans
l'Univers entier ».
« La situation véritable »
incarne l'état de l'environnement vivant qui affecte directement
ou indirectement la condition humaine. « Ressentir et comprendre
la vraie situation » n'est pas possible sans une connaissance
appropriée et un élément d'empathie. La connaissance vient de l'étude
et de la compréhension des rapports entre toutes choses et, une
fois qu’elle a été réalisée, l'empathie en est le sous-produit.
C’est seulement quand cet état d'esprit est atteint qu’il est possible
de s'inclure dans le concept de « toutes choses dans l'Univers
entier » et de développer naturellement la conscience de la
nécessité d'en prendre grand soin. La déclaration de Zhang Zai
a également des implications négatives. Il invite les humains à
avoir un esprit « agrandi», simplement parce que celui-ci est généralement
très petit, confiné à l'étroit domaine humain des gains et des pertes
personnels, ne laissant aucune place pour les animaux, les plantes
et les royaumes marins, et encore bien moins pour la préservation
de leur environnement. Une si petite intelligence revient à de
l'égocentrisme et à de l'anthropocentrisme − de là l'appel
pour élargir l'esprit humain.
Par conséquent, on doit redoubler
d'efforts pour appliquer la deuxième stratégie, « xu qi
xin, yi shou tianxia zhi shan » . La traduction littérale
de « xu qi xin » est « rendre l'esprit vide ».
Cette stratégie signifie de vider l'esprit des égocentrismes et
de cultiver la modestie et la franchise. À l'atteinte de cet état,
il devient possible « d'accueillir et d'apprécier tout ce qu'il
y a de bon dans le monde » . Ce type de bonté n'émane pas
simplement de l'activité sociale humaine; elle émerge également
d'autres formes de vie. Pour accomplir ce qu’il y a de mieux pour
l'ensemble, il est nécessaire de tirer des leçons des vertus et
des mérites des autres. Ceci exige à la fois d’apprécier les avantages
que recèlent les autres formes de vie dans la nature et de considérer
ce qui peut être fait pour les enrichir. C'est le principe de réciprocité
qui s'applique alors : il est abrégé dans l'adage Un service
en attire un autre! Par exemple, aucun être humain ne peut
survivre sans l'oxygène produit par les plantes. C'est un incitatif
à prendre soin de la flore puisque, ce faisant, l’humanité peut
continuer à respirer, et si elle ne veut pas le reconnaître, elle
ne survivra pas.
La troisième stratégie est « jin
qi xin, yi mou tianxia zhi shi » . Par « jin qi
xin » on veut dire : « pourvoir l'esprit »
en le ramenant à son état original c’est-à-dire de bon esprit, alors
que l'autre partie veut dire « faire l'impossible par l'esprit »
en agissant bien. Dans le confucianisme, on croit que l'esprit
est bon en soi, mais qu'il peut être leurré par le désir humain.
Son bon état originel peut être retrouvé si le désir est atténué
et par la suite éliminé. Ceci exige un processus d’élévation imprégné
de sincérité morale, lequel aboutit à la capacité « de planifier
et de conduire toutes les affaires du monde ». En remplissant
cette mission, il est possible d'appliquer l'état d'esprit approprié
et de suivre l'ordre logique en agrandissant l'esprit suffisamment
pour éprouver et comprendre toutes choses dans l'Univers. Tel que
l’énonce Zhang
Zai, on peut réaliser cet objectif en vidant l'esprit, de sorte
qu'il peut accueillir et apprécier tout ce qu'il y a de bon dans
le monde et par-dessus tout, à l'unisson, aimer les gens et prendre
grand soin des choses. Aimer les gens vient probablement plus naturellement
aux humains que prendre grand soin des choses, mais l'envergure
spirituelle de l'humanité est sérieusement freinée quand les humains
ignorent ou négligent la nécessité de prendre grand soin des choses
non humaines. À cet égard, Mencius a proposé ceci : « Si
l'on n'autorise pas les filets à mailles serrées dans les étangs
et les bassins, les poissons et les tortues vont se multiplier jusqu'à
ce que leur nombre corresponde à la nourriture disponible; si les
haches et les scies n'entrent dans les collines et les forêts que
pour une période appropriée, il y aura amplement de bois de construction
pour tous les usages. » . Mencius préconisait le principe
de la rectitude et de la maîtrise de soi. Si le genre humain fait
preuve de la sagesse dont il est capable et débarrasse le monde
des fléaux tels les tempêtes de sable et de poussière, cette planète
sera alors un bien meilleur habitat pour tout le monde.
WANG
KEPING est vice-directeur de l'Institut pour les études transculturelles,
relevant de l'Université des langues étrangères no 2
de Beijing.
*Selon des statistiques
officielles, l'ampleur de l'élevage excessif en Chine touche 36,1%
de la surface totale, y compris la Mongolie intérieure, le Ningxia,
le Gansu, le Qinghai, le Tibet et le Xinjiang.
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