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les traces du père et épouser sa cause
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Mei Baojiu, grand maître des rôles de dan de l’opéra de Pékin
LOUISE CADIEUX,
et HU CHUNHUA
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Mei
Baojiu pose devant la statue de son père, Mei Lanfang. |
Pour les amateurs de l’opéra de Pékin en Occident, Mei Lanfang
est un nom familier car il est celui qui a fait connaître cet art
un peu partout dans le monde au milieu du siècle dernier. La renommée
de cet acteur tient aussi au fait qu’il a maîtrisé jusqu’à l’excellence
les rôles de « dan », c’est-à-dire les rôles féminins
joués par des hommes. Mei Baojiu est le fils de cet acteur célèbre
et celui qui a pris sa relève. Au fil du temps, il a lui aussi acquis
une renommée mondiale.
Le jour de notre rencontre, Mei Baojiu venait
tout juste de rentrer de Shanghai où il répétait le spectacle que
les artistes vétérans allaient présenter à la Fête nationale, et
il jonglait avec un emploi du temps très serré. L’attente de son
arrivée nous a donné l’occasion de prendre contact avec l’univers
de cette famille célèbre en visitant le musée commémoratif Mei Lanfang.
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Mei Baojiu (à gauche) sur la scène. |
Situé dans une cour carrée bien calme de Beijing, ce musée de style
Qing a été ouvert au public en 1986. Il est minuscule, ne couvrant
que 1 600 m2, mais il présente bien l’essentiel
de la vie de l’acteur, car il résulte du don, fait en 1965 à l’État,
de la collection d’œuvres d’art, de photos et de divers objets familiaux
par l’épouse de Mei Lanfang. « Tout est original, dit M. Liu
Zhanwen, président du musée, il n’y a que les tentures qui soient
nouvelles, tous les meubles que vous voyez ont bel et bien été utilisés
par la famille Mei et témoignent du genre de vie qu’elle a mené
ici. » Certains objets permettent de constater la place importante
qu’a tenue cet homme en Chine : par exemple, un poste de radio,
qui occupe une place bien en vue, a été offert par le ministère
de la Culture de l'ex-Union soviétique. En outre, les nombreuses
photos bien documentées font défiler la carrière du grand acteur;
elles nous imprègnent de sa présence marquante dans la société chinoise
et de son rôle pour faire connaître l’opéra chinois à l’étranger.
Puis, les photos sont pratiquement devenues réalité : Mei Baojiu
est arrivé, nous laissant surpris devant la grande ressemblance
physique avec son père …..
Aller à la bonne école
Mei
Baojiu a commencé à neuf ans à étudier l’opéra de Pékin avec son
père, alors que, parallèlement, d’autres maîtres l’initiaient aux
exercices vocaux et à la gestuelle. Trois ans plus tard, il participait
déjà à des représentations avec son père. « Je le suivais partout,
dit Mei Baojiu, je faisais des fautes lors des représentations,
mais mon père me corrigeait constamment sans se fâcher. C’était
un homme très doux, très consciencieux, et soigneux sur le plan
de l’éducation. Il m’a encouragé à bien étudier et à me perfectionner;
il me laissait même écouter les opéras occidentaux comme Aïda
et Madame Butterfly. La maison familiale était baignée d’une
atmosphère de culture, l’art faisait partie de notre vie, de sorte
que les souvenirs que j’ai de mon père sur scène sont impérissables. »
C’est ce cadre rigoureux qui, au fil des années, a fait de Mei Baojiu
l’acteur principal des opéras représentatifs de l’École Mei Lanfang.
Les critiques qualifient sa voix de douce et fruitée, son chant
et sa récitation, d’élégants et exquis, son jeu, de naturel et posé.
Aujourd’hui, c’est un artiste dont le talent et le travail sont
reconnus au pays et à l’étranger. En effet, depuis 1980, Mei Baojiu
parcourt le monde pour présenter l’art de l’École de Mei Lanfang,
et en 1989, il s’est vu décerner la récompense du meilleur artiste
asiatique par le Lincoln Art Center de New York.
Respecter les règles
de l’art
Pour Mei Baojiu, l’opéra de Pékin est un patrimoine à conserver
car il représente la quintessence de la culture chinoise et rassemble
toutes les formes de théâtre de Chine. Comme son histoire remonte
à plus de 200 ans, sa portée historique et culturelle est riche.
Décors, costumes, rôles, tout est spécialisé et respecte des règles
strictes. Pour bien saisir cet opéra, dit-il, il faudrait écrire
des livres et des livres pour tenter d’expliquer tous les détails,
décoder toutes les nuances contenues dans les paroles reflétant
différents types de cultures. Pour apprécier au mieux un opéra,
le spectateur doit donc avoir un certain niveau de culture sur l’histoire
et la culture de la Chine. Il doit aussi s’imprégner du livret de
l’opéra avant la représentation et concentrer son attention sur
le symbolisme de la gestuelle pendant le spectacle. « Dans
l’opéra de Pékin, tout est dans le symbolisme des mains, des gestes,
des yeux, dit Mei, le défi de l’acteur est d’occuper un espace vide.
Dans le théâtre parlé, il y a des accessoires, les gestes sont réalistes.
Dans l’opéra de Pékin, tout repose sur l’acteur; seul, il parle
directement au spectateur et aux autres acteurs ou il se parle à
lui-même. Il peut combiner librement réalisme et symbolisme, utiliser
sa gestuelle pour faire comprendre une action quelconque. Par exemple,
dans une représentation où quelqu’un est à cheval, on comprendra
qui est le plus important − l’acteur ou le cheval −
selon la priorité accordée aux paroles ou aux nombreux gestes. Pour
exprimer un homme avec une barbe, le geste artistique exagérera
la longueur de celle-ci. »
C’est précisément au symbolisme typique de l’opéra
de Pékin que croit Mei Baojiu; dans cet opéra, centré sur l’interprétation
de l’acteur, le décor est issu de cette interprétation, et l’accessoire
ne prend pas le pas sur l’essentiel. Selon Mei, c’est un art qui
ne peut se perpétuer qu’en respectant les règles artistiques qui
lui sont propres et en profitant du fait que les artistes vétérans
sont encore là pour léguer leur savoir-faire à la jeune génération.
À ce propos, il considère que cette dernière progresse
vite, car elle a de meilleures connaissances culturelles que les
générations précédentes. Mais, tout comme Mei fait quotidiennement
ses exercices de voix depuis qu’il a neuf ans, les jeunes ne pourront
maîtriser cet art difficile, à la gestuelle stricte, qu’au prix
d’un long apprentissage. Celui-ci débute souvent vers l’âge de 8-10
ans, par les rôles de généraux ou en maîtrisant les arts martiaux.
Toutefois, Mei Baojiu considère qu’en art, c’est d’abord le talent
qui compte. « Quand un talent est naturel, le travail n’est
pas laborieux et le talent se manifeste très jeune; prenez Mozart,
par exemple », dit-il. C’est précisément avec ce critère qu’il
a choisi les treize élèves qui bénéficient de son enseignement précieux.
Continuer
la cause de son père
Quand on a vécu dans le sillage d’un homme aussi
illustre que Mei Lanfang, certains pourraient penser que, pour un
fils, la succession est lourde à assumer. Mais à entendre parler
Mei Baojiu de son père, on sent avec quel naturel il est le digne
héritier de la noble tradition orientale voulant que le fils succède
au père et épouse sa cause. « C’était un grand artiste authentique
qui a toujours eu une attitude très droite et juste. Par exemple,
quand le Japon a agressé la Chine, les Japonais voulaient que mon
père monte sur scène. Il a refusé. Les Japonais n’ont pu l’influencer,
et l’attitude de mon père a eu une grande influence dans la société
chinoise.» Mei Lanfang a côtoyé et a été l’ami de grandes célébrités
mondiales comme Alekseïvev Stanislavsky, Bertolt Brecht, Douglas
Fairbanks et Mary Pickford, mais comme l’affirme son fils « il
a été surtout un patriote qui a aimé sa carrière et a apporté une
grande contribution pour faire connaître les arts chinois à l’étranger.».
En 2004, la Chine célébrera le 110e
anniversaire de la naissance de Mei Lanfang. Son fils, qui contribue
également au pays en étant député de la Conférence consultative
politique du peuple chinois, participera sûrement à ce grand événement
avec une fierté et un sens de l’accomplissement bien mérité.
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