Novembre/Décembre 2003

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Suivre les traces du père et épouser sa cause

— Mei Baojiu, grand maître des rôles de dan de l’opéra de Pékin

LOUISE CADIEUX, et HU CHUNHUA

Mei Baojiu pose devant la statue de son père, Mei Lanfang.

Pour les amateurs de l’opéra de Pékin en Occident, Mei Lanfang est un nom familier car il est celui qui a fait connaître cet art un peu partout dans le monde au milieu du siècle dernier. La renommée de cet acteur tient aussi au fait qu’il  a maîtrisé jusqu’à l’excellence les rôles de « dan », c’est-à-dire les rôles féminins joués par des hommes.  Mei Baojiu est le fils de cet acteur célèbre et celui qui a pris sa relève. Au fil du temps, il a lui aussi acquis une renommée mondiale.

Le jour de notre rencontre, Mei Baojiu venait tout juste de rentrer de Shanghai où il répétait le spectacle que les artistes vétérans allaient présenter à la Fête nationale, et il jonglait avec un emploi du temps très serré. L’attente de son arrivée nous a donné l’occasion de prendre contact avec l’univers de cette famille célèbre en visitant le musée commémoratif Mei Lanfang.

Mei Baojiu (à gauche) sur la scène.

Situé dans une cour carrée bien calme de Beijing, ce musée de style Qing a été ouvert au public en 1986. Il est minuscule, ne couvrant que 1 600 m2, mais il présente bien l’essentiel de la vie de l’acteur, car il résulte du don, fait en 1965 à l’État, de la collection d’œuvres d’art, de photos et de divers objets familiaux par l’épouse de Mei Lanfang. « Tout est original, dit M. Liu Zhanwen, président du musée, il n’y a que les tentures qui soient nouvelles, tous les meubles que vous voyez ont bel et bien été utilisés par la famille Mei et témoignent du genre de vie qu’elle a mené ici. » Certains objets permettent de constater la place importante qu’a tenue cet homme en Chine : par exemple, un poste de radio, qui occupe une place bien en vue, a été offert par le ministère de la Culture de l'ex-Union soviétique.  En outre, les nombreuses photos bien documentées font défiler la carrière du grand acteur; elles nous imprègnent de sa présence marquante dans la société chinoise et de son rôle pour faire connaître l’opéra chinois à l’étranger. Puis, les photos sont pratiquement devenues réalité : Mei Baojiu est arrivé, nous laissant surpris devant la grande ressemblance physique avec son père …..

Aller à la bonne école

Mei Baojiu a commencé à neuf ans à étudier l’opéra de Pékin avec son père, alors que, parallèlement, d’autres maîtres l’initiaient aux exercices vocaux et à la gestuelle.  Trois ans plus tard, il participait déjà à des représentations avec son père. « Je le suivais partout, dit Mei Baojiu, je faisais des fautes lors des représentations, mais mon père me corrigeait constamment sans se fâcher. C’était un homme très doux, très consciencieux, et soigneux sur le plan de l’éducation. Il m’a encouragé à bien étudier et à me perfectionner; il me laissait même écouter les opéras occidentaux comme Aïda et Madame Butterfly. La maison familiale était baignée d’une atmosphère de culture, l’art faisait partie de notre vie, de sorte que les souvenirs que j’ai de mon père sur scène sont impérissables. » C’est ce cadre rigoureux qui, au fil des années, a fait de Mei Baojiu l’acteur principal des opéras représentatifs de l’École Mei Lanfang.  Les critiques qualifient sa voix de douce et fruitée, son chant et sa récitation, d’élégants et exquis, son jeu, de naturel et posé. Aujourd’hui, c’est un artiste dont le talent et le travail sont reconnus au pays et à l’étranger. En effet, depuis 1980, Mei Baojiu parcourt le monde pour présenter l’art de l’École de Mei Lanfang, et en 1989, il s’est vu décerner la récompense du meilleur artiste asiatique par le Lincoln Art Center de New York.

Respecter les règles de l’art

Pour Mei Baojiu, l’opéra de Pékin est un patrimoine à conserver car il représente la quintessence de la culture chinoise et rassemble toutes les formes de théâtre de Chine. Comme son histoire remonte à plus de 200 ans, sa portée historique et culturelle est riche. Décors, costumes, rôles, tout est spécialisé et respecte des règles strictes. Pour bien saisir cet opéra, dit-il, il faudrait écrire des livres et des livres pour tenter d’expliquer tous les détails, décoder toutes les nuances contenues dans les paroles reflétant différents types de cultures. Pour apprécier au mieux un opéra, le spectateur doit donc avoir un certain niveau de culture sur l’histoire et la culture de la Chine. Il doit aussi s’imprégner du livret de l’opéra avant la représentation et concentrer son attention sur le symbolisme de la gestuelle pendant le spectacle. « Dans l’opéra de Pékin, tout est dans le symbolisme des mains, des gestes, des yeux, dit Mei, le défi de l’acteur est d’occuper un espace vide. Dans le théâtre parlé, il y a des accessoires, les gestes sont réalistes. Dans l’opéra de Pékin, tout repose sur l’acteur;  seul, il parle directement au spectateur et aux autres acteurs ou il se parle à lui-même. Il peut combiner librement réalisme et symbolisme, utiliser sa gestuelle pour faire comprendre une action quelconque. Par exemple, dans une représentation où quelqu’un est à cheval, on comprendra qui est le plus important − l’acteur ou le cheval − selon la priorité accordée aux paroles ou aux nombreux gestes. Pour exprimer un homme avec une barbe, le geste artistique exagérera la longueur de celle-ci. »

C’est précisément au symbolisme typique de l’opéra de Pékin que croit Mei Baojiu; dans cet opéra, centré sur l’interprétation de l’acteur, le décor est issu de cette interprétation, et l’accessoire ne prend pas le pas sur l’essentiel. Selon Mei, c’est un art qui ne peut se perpétuer qu’en respectant les règles artistiques qui lui sont propres et en profitant du fait que les artistes vétérans sont encore là pour léguer leur savoir-faire à la jeune génération.

À ce propos, il considère que cette dernière progresse vite, car elle a de meilleures connaissances culturelles que les générations précédentes. Mais, tout comme Mei fait quotidiennement ses exercices de voix depuis qu’il a neuf ans, les jeunes ne pourront maîtriser cet art difficile, à la gestuelle stricte, qu’au prix d’un long apprentissage. Celui-ci débute souvent vers l’âge de 8-10 ans, par les rôles de généraux ou en maîtrisant les arts martiaux. Toutefois, Mei Baojiu considère qu’en art, c’est d’abord le talent qui compte. « Quand un talent est naturel, le travail n’est pas laborieux et le talent se manifeste très jeune; prenez Mozart, par exemple », dit-il. C’est précisément avec ce critère qu’il a choisi les treize élèves qui bénéficient de son enseignement précieux.

Continuer la cause de son père

Quand on a vécu dans le sillage d’un homme aussi illustre que Mei Lanfang, certains pourraient penser que, pour un fils, la succession est lourde à assumer. Mais à entendre parler Mei Baojiu de son père, on sent avec quel naturel il est le digne héritier de la noble tradition orientale voulant que le fils succède au père et épouse sa cause. « C’était un grand artiste authentique qui a toujours eu une attitude très droite et juste. Par exemple, quand le Japon a agressé la Chine, les Japonais voulaient que mon père monte sur scène. Il a refusé. Les Japonais n’ont pu l’influencer, et l’attitude de mon père a eu une grande influence dans la société chinoise.» Mei Lanfang a côtoyé et a été l’ami de grandes célébrités mondiales comme Alekseïvev Stanislavsky, Bertolt Brecht, Douglas Fairbanks et Mary Pickford, mais comme l’affirme son fils « il a été surtout un patriote qui a aimé sa carrière et a apporté une grande contribution pour faire connaître les arts chinois à l’étranger.».

En 2004, la Chine célébrera le 110e anniversaire de la naissance de Mei Lanfang. Son fils, qui contribue également au pays en étant député de la Conférence consultative politique du peuple chinois, participera sûrement à ce grand événement avec une fierté et un sens de l’accomplissement bien mérité.