HUANG
CAI
À 63 ans, le père de notre collaboratrice a foulé le sol français
pour la première fois de sa vie l’été dernier. Ce sont ses premières
impressions qu’il a accepté de livrer au quotidien à sa fille
et qu’elle nous fait partager. Vous pourrez les lire dans ce numéro
et le prochain. -NDLR
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Il
y a des Parisiens qui pratiquent les arts martiaux. |
Mon père est déjà très bronzé, après un séjour
de vingt jours en France dont le début a coïncidé avec la canicule
sans précédent qui a frappé l’Europe cet été. Philosophe, il a
comparé la température à la chaleur de l’accueil que Paris lui
a réservée, et a considéré ce voyage comme un des moments chauds
de sa vie. Un été bien chaud, très ensoleillé et plein d’émotions.
Ce voyage, il l’avait rêvé depuis sa jeunesse, même qu’il a cru
un moment ne jamais pouvoir le réaliser; et maintenant, le rêve
est devenu réalité. Voilà Paris, la ville qu’il a tant de fois
contemplée sur les photos et dans les films; la ville qu’il a
tant imaginée s’étale enfin devant ses yeux. Cette ville se montre-t-elle
à la hauteur de son rêve? Ses propos révèlent une fine capacité
d’observation.
Paris romantique
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«
J'ai toujours eu en tête l'image du Paris des amoureux...
».
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« J’ai toujours eu en tête l’image de la Paris
des amoureux; on dit que la scène la plus romantique du monde
est de voir les amoureux au bord de la Seine. Arrivé à Paris,
j’ai véritablement constaté que c’était une ville pleine de douceur ;
il m’a semblé qu’ici, les sentiments humains les plus nobles pouvaient
s’exprimer plus facilement qu’ailleurs. Sur l’avenue des Champs
Élysées, ça respire le comble du bonheur. Il y a des couples,
des familles, des amis ; les origines, l’âge, la religion
et les nationalité sont multiples, mais la joie de tous est pareille.
Les petits sont juchés sur les épaules des parents, les amis se
tiennent par la main, les inconnus s’échangent des sourires. Marcher
dans la plus belle avenue du monde, c’est le rêve réalisé et le
souvenir pour toute la vie; c’est rien que du bonheur et personne
ne veut le cacher. Mais Paris me semble avant tout l’Eldorado
des amoureux : partout, les amoureux aux cheveux blonds,
noirs ou gris font partie intégrante de la ville. La couleur de
leur peau importe peu : blanche, noire, jaune… il peut-être
blanc et elle, noire…tout est possible. Ils sont là à chaque coin
de rue, à la terrasse des cafés, sur les bancs publics, sur les
escaliers des églises, ils se murmurent, se caressent, s’embrassent,
ils sont naturels comme les pigeons sur les places, les bateaux
sur la Seine, ils n’ajoutent que du charme à Paris! Moi, Chinois,
qui ai l’habitude de cacher mes sentiments, je les accepte avec
le sourire et, pour être franc, je me demande si je ne les envie
pas un peu. Ah ! si moi et mon épouse avions 30 ans de moins…
je la transporterais dans mes bras pour gravir l’escalier donnant
accès au Sacré-Coeur de Montmartre, comme ces jeunes amoureux!
Paris historique
À Paris, j’ai marché et marché le long
de la Seine, comme en pays conquis; je voudrais tout voir, pour
mieux prendre possession de cette ville pittoresque, de ses sites
historiques, de ses quartiers chics, de ses quartiers populaires
où les Parisiens vivent, aiment et meurent. J’ai passé des journées
à admirer les anciens palais royaux qui sont devenus des musées
ou qui abritent maintenant des institutions prestigieuses. Aucun
appareil-photo ultra-moderne ne peut reproduire leur beauté et
leur splendeur, surtout l’histoire de la France que ces pierres
nous font découvrir.. Se promener dans la ville, c’est revivre
les scènes que nous ont décrites les grands écrivains français;
les quartiers de la rive droite abritent-ils encore les personnages
de Balzac? Les lieux parisiens explorés par l’écrivain sont encore
largement visibles aujourd’hui. Avec ces bâtiments des XVIe,
XVIIe ou XVIIIe siècles, tout Paris me raconte
son histoire. Pourquoi ces Parisiens ont-ils réussi à garder leurs
vestiges historiques, et pourquoi nous, Chinois, ne pouvons que
bien souvent lire des documents pour connaître une grande part
de notre parcours millénaire? Les vestiges historiques existent,
mais par rapport à notre longue histoire, il y en a très peu.
Les matériaux de construction que nos ancêtres utilisaient peuvent
expliquer en partie cette situation, la terre et le bois ne sont
pas aussi résistants que les pierres. L’état d’esprit des vainqueurs
des guerres de l’histoire peut expliquer l’autre partie. Les empereurs
chinois, une fois les villes prises, se mettaient à détruire les
demeures des vaincus et à en construire de nouvelles pour manifester
leurs exploits. Combien de merveilles ont ainsi disparu à jamais?
Quel bonheur pour ces Parisiens de pouvoir vivre dans ces bâtiments
centenaires qu’ils ont la sagesse de rénover, de moderniser à
l’intérieur tout en conservant l’aspect extérieur original.
Paris ouverte
Avant mon arrivée en France, je m’attendais à être
accepté comme un étranger, un Asiatique avec sa physionomie différente
de celle de ses hôtes. Si j’allais pénétrer dans la Paris profonde,
j’attirerais certainement les regards des autres, comme le vivent
les Occidentaux qui se promènent dans les Hutong (ruelle
traditionnelle) de Beijing. Je me suis vite rendu compte que j’avais
tort. Comme une goutte d’eau dans la mer, j’ai immédiatement fait
partie de ces Parisiens et Parisiennes qui déambulent en costume,
en jean, en boubou, en sarong ou en portant le foulard. Personne
ne m’a trouvé différent, puisque chacun est différent de l’autre.
Tous vivent à Paris comme chez eux. On peut être Malien, Pakistanais,
Colombien ou Arménien, Paris accepte la différence. Grâce à son
esprit d’ouverture et à sa tolérance, Paris est devenue multicolore,
un lieu international de rencontres.
Il y a des Chinois −et même beaucoup−
sans parler du 13e arrondissement, ce Chinatown parisien.
Un jour, de ma chambre d’hôtel qui se trouve dans le 19e, j’ai
entendu une mère qui criait à ses enfants de venir manger, « À
table!» a-t-elle dit en chinois, avec l’accent de la Chine du
Nord-Est! Évidemment, c’était une famille chinoise installée à
Paris. Je suis content pour mes compatriotes qui sont devenus
Parisiens et pour cette ville qui les accepte. En plus, je suis
un peu étonné, mais très fier, de constater le petit faible qu’ont
les Parisiens pour notre culture qui imprègne beaucoup de domaines
de la vie quotidienne : l’alimention, l’art de vivre, la
mode, etc. Les caractères chinois ornent certaines vitrines de
magasins et des T-shirts, et j’ai même vu certains en porter en
tatouage. Une fille arborait sur son T-shirt les trois caractères
Shi Wei Tian (la restauration est primordiale) ; la
calligraphie était très jolie, mais je ne sais pas si elle comprenait
vraiment la signification de cette expression.
Paris agréable
Paris est une dame coquette, gardant sa gloire
des siècles précédents, encore brillante dans cette société d’aujourd’hui.
Elle me semble aimable, sans la moindre attitude froide ou hautaine.
D’une part, si les regards se croisent, beaucoup vous saluent
d’un sourire poli; d’autre part, les bâtiments ont eux aussi un
visage élégant et agréable. J’ai marché dans le 7e
arrondissement où, je sais depuis longtemps, que sont regroupées
les institutions gouvernementales de France, mais je n’ai vu aucun
mur, aucun long escalier ou vaste espace qui aurait pu témoigner
du prestige de ces institutions. Celles-ci se situent le long
de rues pavées et fleuries et elles côtoient des habitations ordinaires.
J’ai trouvé par hasard que le secrétariat d’État pour les PME
se logeait justement à côté de la maison d’Alphonse Daudet.
Les Chinois ont l’habitude de comparer l’avenue
Chang’an avec l’avenue des Champs-Élysées. Je m’y suis promené
dans ses jardins, j’ai flâné dans ses boutiques, je me suis arrêté
dans les cafés; je n’ai pas eu besoin d’emprunter des passerelles
souterraines pour traverser : les voitures s’arrêtaient au
feu rouge et je pouvais passer tranquillement. Mon autre lieu
de prédilection : le jardin du Luxembourg. On y trouve beaucoup
de chaises en fer que les touristes peuvent déplacer à leur gré
pour se reposer sous les rayons du soleil. Puis soudainement,
j’ai remarqué que le mot « Sénat » était inscrit sur
le dos des chaises. Le Palais du Luxembourg, qui abrite le Sénat
français, partage son jardin avec les Français et les touristes
venus du monde entier et les invite à s’asseoir, un peu comme
une grande dame qui laisserait ses invités prendre place librement
dans son salon. N’est-ce pas très sympa? » (à suivre)