Novembre/Décembre 2003

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

La Paris de M. Huang

HUANG CAI

À 63 ans, le père de notre collaboratrice a foulé le sol français pour la première fois de sa vie l’été dernier. Ce sont ses premières impressions qu’il a accepté de livrer au quotidien à sa fille et qu’elle nous fait partager. Vous pourrez les lire dans ce numéro et le prochain. -NDLR

Il y a des Parisiens qui pratiquent les arts martiaux.

Mon père est déjà très bronzé, après un séjour de vingt jours en France dont le début a coïncidé avec la canicule sans précédent qui a frappé l’Europe cet été. Philosophe, il a comparé la température à la chaleur de l’accueil que Paris lui a réservée, et a considéré ce voyage comme un des moments chauds de sa vie. Un été bien chaud, très ensoleillé et plein d’émotions. Ce voyage, il l’avait rêvé depuis sa jeunesse, même qu’il a cru un moment ne jamais pouvoir le réaliser; et maintenant, le rêve est devenu réalité. Voilà Paris, la ville qu’il a tant de fois contemplée sur les photos et dans les films; la ville qu’il a tant imaginée s’étale enfin devant ses yeux. Cette ville se montre-t-elle à la hauteur de son rêve? Ses propos révèlent une fine capacité d’observation.

Paris romantique

« J'ai toujours eu en tête l'image du Paris des amoureux... ».

« J’ai toujours eu en tête l’image de la Paris des amoureux; on dit que la scène la plus romantique du monde est de voir les amoureux au bord de la Seine. Arrivé à Paris, j’ai véritablement constaté que c’était une ville pleine de douceur ; il m’a semblé qu’ici, les sentiments humains les plus nobles pouvaient s’exprimer plus facilement qu’ailleurs. Sur l’avenue des Champs Élysées, ça respire le comble du bonheur. Il y a des couples, des familles, des amis ; les origines, l’âge, la religion et les nationalité sont multiples, mais la joie de tous est pareille. Les petits sont juchés sur les épaules des parents, les amis se tiennent par la main, les inconnus s’échangent des sourires. Marcher dans la plus belle avenue du monde, c’est le rêve réalisé et le souvenir pour toute la vie; c’est rien que du bonheur et personne ne veut le cacher. Mais Paris me semble avant tout l’Eldorado des amoureux : partout, les amoureux aux cheveux blonds, noirs ou gris font partie intégrante de la ville. La couleur de leur peau importe peu : blanche, noire, jaune… il peut-être blanc et elle, noire…tout est possible. Ils sont là à chaque coin de rue, à la terrasse des cafés, sur les bancs publics, sur les escaliers des églises, ils se murmurent, se caressent, s’embrassent, ils sont naturels comme les pigeons sur les places, les bateaux sur la Seine, ils n’ajoutent que du charme à Paris! Moi, Chinois, qui ai l’habitude de cacher mes sentiments, je les accepte avec le sourire et, pour être franc, je me demande si je ne les envie pas un peu. Ah ! si moi et mon épouse avions 30 ans de moins… je la transporterais dans mes bras pour gravir l’escalier donnant accès au Sacré-Coeur de Montmartre, comme ces jeunes amoureux!

Paris historique

À Paris, j’ai marché et marché le long de la Seine, comme en pays conquis; je voudrais tout voir, pour mieux prendre possession de cette ville pittoresque, de ses sites historiques, de ses quartiers chics, de ses quartiers populaires où les Parisiens vivent, aiment et meurent. J’ai passé des journées à admirer les anciens palais royaux qui sont devenus des musées ou qui abritent maintenant des institutions prestigieuses. Aucun appareil-photo ultra-moderne ne peut reproduire leur beauté et leur splendeur, surtout l’histoire de la France que ces pierres nous font découvrir.. Se promener dans la ville, c’est revivre les scènes que nous ont décrites les grands écrivains français; les quartiers de la rive droite abritent-ils encore les personnages de Balzac? Les lieux parisiens explorés par l’écrivain sont encore largement visibles aujourd’hui. Avec ces bâtiments des XVIe, XVIIe ou XVIIIe siècles, tout Paris me raconte son histoire. Pourquoi ces Parisiens ont-ils réussi à garder leurs vestiges historiques, et pourquoi nous, Chinois, ne pouvons que bien souvent lire des documents pour connaître une grande part de notre parcours millénaire? Les vestiges historiques existent, mais par rapport à notre longue histoire, il y en a très peu. Les matériaux de construction que nos ancêtres utilisaient peuvent expliquer en partie cette situation, la terre et le bois ne sont pas aussi résistants que les pierres. L’état d’esprit des vainqueurs des guerres de l’histoire peut expliquer l’autre partie. Les empereurs chinois, une fois les villes prises, se mettaient à détruire les demeures des vaincus et à en construire de nouvelles pour manifester leurs exploits. Combien de merveilles ont ainsi disparu à jamais? Quel bonheur pour ces Parisiens de pouvoir vivre dans ces bâtiments centenaires qu’ils ont la sagesse de rénover, de moderniser à l’intérieur tout en conservant l’aspect extérieur original. 

 Paris ouverte

Avant mon arrivée en France, je m’attendais à être accepté comme un étranger, un Asiatique avec sa physionomie différente de celle de ses hôtes. Si j’allais pénétrer dans la Paris profonde, j’attirerais certainement les regards des autres, comme le vivent les Occidentaux qui se promènent dans les Hutong (ruelle traditionnelle) de Beijing. Je me suis vite rendu compte que j’avais tort. Comme une goutte d’eau dans la mer, j’ai immédiatement fait partie de ces Parisiens et Parisiennes qui déambulent en costume, en jean, en boubou, en sarong ou en portant le foulard. Personne ne m’a trouvé différent, puisque chacun est différent de l’autre. Tous vivent à Paris comme chez eux. On peut être Malien, Pakistanais, Colombien ou Arménien, Paris accepte la différence. Grâce à son esprit d’ouverture et à sa tolérance, Paris est devenue multicolore, un lieu international de rencontres.

Il y a des Chinois −et même beaucoup− sans parler du 13e arrondissement, ce Chinatown parisien. Un jour, de ma chambre d’hôtel qui se trouve dans le 19e, j’ai entendu une mère qui criait à ses enfants de venir manger, « À table!» a-t-elle dit en chinois, avec l’accent de la Chine du Nord-Est! Évidemment, c’était une famille chinoise installée à Paris. Je suis content pour mes compatriotes qui sont devenus Parisiens et pour cette ville qui les accepte. En plus, je suis un peu étonné, mais très fier, de constater le petit faible qu’ont les Parisiens pour notre culture qui imprègne beaucoup de domaines de la vie quotidienne : l’alimention, l’art de vivre, la mode, etc. Les caractères chinois ornent certaines vitrines de magasins et des T-shirts, et j’ai même vu certains en porter en tatouage. Une fille arborait sur son T-shirt les trois caractères Shi Wei Tian (la restauration est primordiale) ; la calligraphie était très jolie, mais je ne sais pas si elle comprenait vraiment la signification de cette expression.

Paris agréable

Paris est une dame coquette, gardant sa gloire des siècles précédents, encore brillante dans cette société d’aujourd’hui. Elle me semble aimable, sans la moindre attitude froide ou hautaine. D’une part, si les regards se croisent, beaucoup vous saluent d’un sourire poli; d’autre part, les bâtiments ont eux aussi un visage élégant et agréable. J’ai marché dans le 7e arrondissement où, je sais depuis longtemps, que sont regroupées les institutions gouvernementales de France, mais je n’ai vu aucun mur, aucun long escalier ou vaste espace qui aurait pu témoigner du prestige de ces institutions. Celles-ci se situent le long de rues pavées et fleuries et elles côtoient des habitations ordinaires. J’ai trouvé par hasard que le secrétariat d’État pour les PME se logeait justement à côté de la maison d’Alphonse Daudet.

Les Chinois ont l’habitude de comparer l’avenue Chang’an avec l’avenue des Champs-Élysées. Je m’y suis promené dans ses jardins, j’ai flâné dans ses boutiques, je me suis arrêté dans les cafés; je n’ai pas eu besoin d’emprunter des passerelles souterraines pour traverser : les voitures s’arrêtaient au feu rouge et je pouvais passer tranquillement. Mon autre lieu de prédilection : le jardin du Luxembourg. On y trouve beaucoup de chaises en fer que les touristes peuvent déplacer à leur gré pour se reposer sous les rayons du soleil. Puis soudainement, j’ai remarqué que le mot « Sénat » était inscrit sur le dos des chaises. Le Palais du Luxembourg, qui abrite le Sénat français, partage son jardin avec les Français et les touristes venus du monde entier et les invite à s’asseoir, un peu comme une grande dame qui laisserait ses invités prendre place librement dans son salon. N’est-ce pas très sympa? » (à suivre)