Les
ONG chinoises de la base, est-ce du sérieux?
LOUISE
CADIEUX
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Des
membres d’ONG chinoises de la base agitent leur « climatiseur
économiseur d’énergie» en symbole de leur volonté de rafraîchir
cette planète qui se réchauffe constamment. |
Un air pratiquement irrespirable!
Des cours d’eau extrêmement pollués par des déchets industriels
! Des déserts qui grugent les prairies et les terres cultivées!
Des villes en pénurie d’eau! Et ça empire…, voilà le triste bilan
qu’on entendait fréquemment, il n’y a pas si longtemps encore,
lorsque des commentateurs ou des scientifiques décrivaient l’écosystème
de la Chine. Bien sûr, maintenant, tout n’est pas complètement
changé, mais en 2001, la Chine a investi 93 milliards de dollars
dans le grand ménage de son environnement. C’est un effort colossal,
alors que, selon certains experts, le budget de sa Défense est
estimé à 45 milliards de dollars. Si la protection de l’environnement
est devenue un pôle de préoccupation à tous les échelons et qu’on
met actuellement les bouchées doubles pour changer cette situation
dramatique, le travail «silencieux» des ONG de la base en environnement
y est pour quelque chose. Sans relâche, surtout depuis le milieu
des années 90, elles ont sensibilisé à l’urgence de la tâche le
grand public et les autorités qui voulaient bien leur prêter l’oreille.
Elles ont essayé bien des méthodes, du tourisme aux exposés théoriques,
des campagnes de nettoyage aux forums sur des questions bien précises.
Hier, elles participaient au sommet de Johannesburg; aujourd’hui,
elles travaillent fort à implanter son plan d’action; demain,
elles continueront sûrement à motiver les gens qu’elles auront
éveillés à comprendre que de la protection de leur univers dépend
directement leur bien-être.
Deux ans
de préparatifs intenses
Le sommet, c’est dès l’an 2000
que les ONG chinoises de la base ont commencé à s’y préparer.
En effet, cette année-là, Village global, une de ces ONG de Beijing,
avait organisé, avec cinq autres de ses homologues, une série
d’activités pour le jour de la Terre. Celles-ci avaient rassemblé
des ONG de plus de dix provinces de Chine, mais surtout, l’événement
marquait le premier rassemblement public d’échelon national, organisé
par des ONG et portant le thème de l’environnement.
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Luo
Yu (au centre) de
la province du Guizhou, a célébré son 13e anniversaire
durant le sommet dans lequel elle s’était très engagée. |
Dès lors, s’est formé un réseau
de partage d’expériences et d’échange d’informations, de sorte
que, au moment où la nouvelle du sommet a été diffusée en Chine,
beaucoup d’ONG ont senti qu’elles avaient la responsabilité de
faire connaître au monde la voix de la société civile chinoise.
Ce fut donc le point de départ de deux années d’une préparation
consciencieuse pendant laquelle se sont succédé réunions régionales,
conférences, activités de sensibilisation et consultations.
Les agences gouvernementales
ont aussi participé aux préparatifs. Par exemple, à l’une des
activités préparatoires au sommet, le Forum sur la consommation
durable, quelque deux cents participants, dont des officiels du
gouvernement, étaient présents pour réfléchir aux modes de consommation
des Chinois. À une autre rencontre, l’Atelier des ONG chinoises
sur le Sommet, outre les représentants des ONG, on comptait aussi
des chercheurs de plus de vingt provinces. D’autres rencontres
ont rassemblé des représentants de l’ONU et des officiels de l’Agenda
21 en Chine. En somme, les ONG prenaient part entière au grand
mouvement de coordination des efforts.
C’est dans ce contexte qu’une
délégation d’ONG a été formée en vue de la participation au sommet
de Johannesburg. Cette délégation comprenait dix-huit représentants
de douze ONG de la base. Leurs délégués ont ensuite suivi une
formation où ils ont étudié les procédures d’un grand rassemblement
international et recueilli des informations sur le grand sommet
auquel ils allaient prendre part. Un groupe plus restreint de
coordination, formé de Village global, Amis de la Terre (Hongkong),
Écoréseau du Yunnan et de l’Association de conservation (Hongkong)
a aussi été mis sur pied pour assumer la responsabilité d’organiser
d’autres activités et d’élaborer des communications permettant
de faire connaître les ONG de la base aux médias et aux participants
du sommet.
Dix-huit
délégués, un seul engagement : forger un avenir meilleur
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Des
VCD et des brochures couvrant vingt-six ONG de la base en
Chine ont été distribués
au sommet. |
La délégation des dix-huit ONG
chinoises de la base regroupait des membres venant de Beijing,
du Yunnan, du Shandong, du Shanxi, du Hebei, du Jiangsu, de Chongqing,
du Sichuan et de Hongkong. De la campagne ou des villes, ces délégués
représentaient la diversité des réalités de la Chine, mais un
seul objectif les animait : un avenir meilleur. Voyons plutôt
les commentaires de certains d’entre eux, à la suite de leur expérience
au sommet.
Liao
Xiaoyi, présidente de Village global de Beijing :
«La prise de conscience du public et sa participation sont fondamentales
pour implanter un développement durable. Les ONG chinoises ont
franchi un petit pas au sommet, mais c’est un grand pas pour la
société civile chinoise vers le monde.»
Wang
Yongchen, co-directrice de Volontaires pour une planète verte : « À ce sommet, nous avons beaucoup appris sur le volontariat
et sur ses fonctions dans ce monde. Nous y avons rencontré beaucoup
de personnes qui partagent notre passion. »
Ng
Mei, directrice des Amis de la Terre :
Sommes-nous une génération montante ou une génération descendante?
Cela dépend des gestes que nous poserons, dans quelle mesure nous
serons engagés à porter bien haut la cause de la justice sociale,
du partage des responsabilités et des ressources. Le sommet est
une marche en avant d’une alliance globale de citoyens qui sont
dotés d’une conscience altruiste.»
Zhang
Zhongming, directeur des Amis Verts du Hebei :
« J’étais la seule personne de la province du Hebei à participer
au sommet. À mon retour, les dirigeants du gouvernement de notre
province m’ont invité à discuter du développement durable dans
notre région. Le sommet a créé une grande opportunité de travailler
avec le gouvernement.»
Lu
Wei, Amis de la nature du Jiangsu :
« J’ai passé un an et demi à enquêter, à pied, sur l’état du Yangtsé,
et je suis très inquiet de sa dégradation. Durant le sommet, j’ai
appris beaucoup sur les questions globales touchant l’eau, j’ai
discuté de solutions possibles avec des gens d’autres pays et
compris comment, à titre d’ONG, je peux aider à mieux protéger
le système du Yangtsé.»
Lu
Chen, directeur de Entrer dans la nature, province du Shandong : « Les gens de mon village sont très fiers de ma participation
au sommet. (…) Plusieurs
personnes ont appris la notion de développement durable et les
fonctions d’une ONG grâce à ma participation. Je crois donc que
je pourrai en retirer un soutien accru. »
Jun
Sun, coordonnateur de programmes au Centre de formation de Village
global : « Notre centre de formation est situé au village Duijiushi,
dans le district de Yanqing, où vivent quarante familles de paysans.
Je suis très content de pouvoir leur rapporter des messages très
pratiques du sommet. Et j’espère voir des représentants des paysans
chinois au prochain sommet, puisqu’il y a 900 millions de paysans
en Chine. »
Su
Wenping, Volontaire de la délégation :
« La diversité est de plus en plus importante dans un monde influencé
par la globalisation. Chaque pays et chaque nation doit conserver
ses propres caractéristiques. La Chine doit aussi se fier à ses
connaissances typiques et à sa culture traditionnelle en matière
de développement durable.
Zhao
Lijian, Coordonnateur, Programme international, Village global : Les valeurs de la jeunesse
vont forger les valeurs de l’humanité. Le sommet m’a donné la
chance de penser à la mission de la jeunesse d’aujourd’hui.»
De l’Afrique
du Sud à la Chine
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Dès
la fin de septembre dernier, des délégués ont discuté le plan
d’action du suivi du sommet avec leurs homologues de plus
de 30 ONG de la base. |
À en juger par ces paroles,
les délégués semblent avoir retiré beaucoup de fierté de leur
participation au sommet, où ils ont surtout concentré leurs énergies
à participer aux ateliers, expositions, forums et tables rondes
qui se tenaient en marge des rencontres plus officielles. Ils
y ont discuté des grandes questions sociales toujours d’actualité,
dont la réduction de la pauvreté, le commerce équitable, le développement
communautaire, la société civile, les valeurs traditionnelles,
la consommation et la production durables et le tourisme écologique,
afin d’en rapporter une réflexion approfondie pour une application
en Chine. Ils ont aussi applaudi lorsque le premier ministre Zhu
Rongji a annoncé au monde entier que le gouvernement chinois avait
ratifié le Protocole de Kyoto. Ils ont félicité Shanghai lorsque
la ville a reçu le titre de «Ville au développement durable».
Ils ont distribué des milliers et des milliers de documents sur
leurs actions et partagé leurs expériences dans des rassemblements
populaires. Ils ont senti la lourde responsabilité qu’ils portaient
sur leurs épaules en tant que premiers représentants des ONG chinoises
de la base à une conférence des Nations unies. À Johannesburg,
les délégués des ONG chinoises de la base étaient les « petits
nouveaux » du processus d’un sommet, mais en faisant connaître
leurs activités, leurs réalisations et leur esprit typique d’ONG
− égalité, participation, autodiscipline, respect mutuel,
engagement, ils ont transformé l’ancienne image de la Chine en
montrant celle de la nouvelle société civile chinoise. Johannesburg
a été une scène et une plate-forme d’apprentissage. Les ONG de
la base ont pu mieux comprendre la portée du rôle qu’elles pouvaient
jouer.
Pour l’heure, le suivi du sommet
prend surtout la forme de rencontres d’information : dans
des patelins reculés comme dans la Capitale, avec des étudiants,
des collègues, des journalistes, des membres du gouvernement et
le grand public. En somme, rien n’est acquis, mais à Johannesburg les ONG chinoises
de la base ont fait savoir au monde entier que leur pays était
bel et bien éveillé à la question environnementale.