XIXe Congrès du Parti communiste chinois| Reportages exclusifs

Action contre la pauvreté au village de Tangyue

2017-10-19 11:31

 

 

ZHOU LIN, membre de la rédaction

 

Étude de cas dans un village du Guizhou, décryptant comment la population rurale a su organiser pour enfin marcher sur la voie du développement et de l'enrichissement.

 
L'équipe agricole des femmes
 
 
Le Guizhou, province située dans le sud-ouest de la Chine, est l'une des régions les plus pauvres du pays. Pourtant, au cours de la période de mise en œuvre du XIIe Plan quinquennal, cette province a réalisé des prouesses en matière de réduction de la pauvreté, permettant à 6,560 millions d'habitants de sortir de la misère. Cependant, le Guizhou abrite encore 3,722 millions d'âmes vivant sous le seuil de pauvreté, lesquelles ont besoin d'une aide d'urgence. Le gouvernement local prévoit encore de réduire de 100 millions le nombre de pauvres. Mais comment compte-t-il réaliser cet objectif ambitieux ? Notre journaliste est partie chercher des réponses dans les villes d'Anshun et de Liupanshui.

Toucher le fond pour mieux rebondir

Dans l'arrondissement Pingba de la ville d'Anshun se trouve le village de Tangyue. En ce lieu, en 2013,le volume de l'économie collective représentait moins de 40 000 yuans par an et les résidents recevaient moins de 4 000 yuans de revenus annuels. Les villageois dépendaient principalement de l'agriculture traditionnelle pour gagner tout juste leur pain.

Le village de Tanyue

Zhang Fuyou, un des habitants, vivaient avec ses deux frères grâce à leur culture de plusieurs mu (un mu =1/15 ha), leur sort étant ainsi étroitement lié à la terre. Mais ils peinaient à nourrir toute la grande famille avec leurs maigres revenus.

En 1998, Zhang Fuyou, alors âgé de 34 ans, a été contraint de quitter son village natal pour chercher ailleurs un emploi mieux payé. Pendant une dizaine d'années, il a travaillé au Zhejiang. Mais en 2010, à l'âge de 46 ans, ne supportant plus la fatigue physique endurée et le fait d'être loin de sa famille, il a décidé de rentrer à Tangyue.

Le village n'avait pas évolué : sous le ciel bleu, des terres en friche, au point que certaines parcelles avaient été confiées à des gens de l'extérieur ; des chemins en piteux état et envahi de mauvaises herbes. Par ailleurs, la population n'était composée que de personnes âgées et d'enfants, délaissés par les jeunes partis travailler dans les villes alentour. En somme, le village n'était plus qu'une « coquille vide ».

Le 3 juin 2014, Tangyue a été ravagé par une série d'inondations. Zhang Fuyou se rappelle que toute la partie basse du village était sous les eaux. Tout avait été noyé et détruit : vêtements, chaussures, ustensiles de cuisine, meubles, équipements électroménagers... Les locaux, eux aussi, sombraient dans le désespoir...

En détruisant les cultures, ces crues ont affaibli le village déjà pauvre. Mais comme l'exprime un dicton en Chine, « de la pauvreté naît le désir de changement » L'équivalent de notre fameuse phrase : « Il faut parfois toucher le fond pour mieux rebondir ». Un défi que Tangyue a su relever.

Un développement collectif

Zuo Wenxue, secrétaire de la cellule du Parti du village, fait partie de ces intellectuels passionnés de culture traditionnelle et de littérature chinoises. Lorsqu'il a vu son village au bord du gouffre, cet érudit a immédiatement compris que le plus important n'était pas de se concentrer sur la reconstruction prochaine d'un pont ou d'une usine, mais d'unir la force de tous les habitants pour opérer un développement collectif.

Le 8 juin 2014 a marqué un tournant dans l'histoire de Tangyue. Une assemblée générale conviant les représentants des dix petits villages relevant du village de Tangyue a été organisée. Au cours de la réunion, Zuo Wenxue a expliqué pourquoi il était nécessaire d'établir une coopérative pour le village et quelle forme elle devait prendre.

Il a résumé : « Sur la base d'une planification générale des terres cultivées, il faut composer des équipes agricoles chacune spécialisée dans la production, l'élevage, la construction, le transport et la transformation des matières premières. Par la suite, nous pourrons créer des entreprises. Les femmes aussi seront mises à contribution : comme les hommes, elles iront travailler en contrepartie d'un salaire. Les villageois contribuant à la coopérative en cultivant leurs lopins récolteront des revenus en proportion de la superficie de leurs terres et percevront en plus des dividendes en fin d'année. »

Zuo Wenxue a précisé aux villageois que rejoindre ainsi la coopérative n'était pas une obligation et devait rester une démarche volontaire. Il faut, avant tout, préserver les droits d'exploitation forfaitaire des terres dont jouissent les paysans en vertu de la loi. En revanche, si un villageois cède volontairement son droit d'exploitation à la coopérative, il devient actionnaire de cette coopérative.

 Zuo Wenxue ne pensait pas que les paysans, après la terrible catastrophe naturelle, auraient tant à cœur de s'engager dans le développement. À son heureuse surprise, les 86 représentants présents à la réunion ont voté unanimement en faveur de l'établissement d'une coopérative. C'est ainsi que la coopérative de Tangyue a été mise en place.

Zhang Fuyou a procédé au transfert des 3 mu de terres de sa famille vers la coopérative de Tangyue, à dessein de bénéficier de dividendes en fin d'année, raconte-t-il. Aujourd'hui, à l'heure où la coopérative affiche des besoins urgents en personnel, M. Zhang et sa femme travaillent tous deux pour la coopérative. Lui gagne 150 yuans par jour, et elle reçoit 80 yuans par jour. Ainsi, sur un an, le ménage engrange environ 60 000 yuans de revenus.

« C'est beaucoup plus que si je partais travailler à l'extérieur du village ! En plus, ici, je peux m'occuper de mes parents âgés et vivre auprès de ma femme, tout en ayant une rentrée d'argent stable », se réjouit Zhang Fuyou.

La cession du droit d'exploitation des terres passe par une procédure relativement complexe : mesure de la superficie cultivée pour chaque famille, archivage des dossiers, publication d'une annonce légale et supervision par tous les villageois. Enfin, le gouvernement local délivre aux habitants concernés un certificat de droit d'exploitation des terres.

Le système de collectivisation des terres rurales a fait ses preuves en Chine au siècle dernier. Il a consolidé le modèle de propriété collective dans les campagnes et a permis à plusieurs centaines de millions de paysans chinois de vivre du travail de la terre. Au début des années 1980, la Chine a introduit une réforme du système de responsabilité à rémunération forfaitaire, distribuant alors des terres aux foyers ruraux pour qu'ils les cultivent. Aux balbutiements de la réforme et de l'ouverture de la Chine, cette initiative a permis de hausser le rendement agricole du pays. Après une trentaine d'années de développement, la productivité a enregistré une forte augmentation. Cependant, ce système n'est plus à même de répondre aux besoins de la nouvelle ère. Comme l'a fait Tangyue en mutualisant les parcelles isolées, il convient de procéder, dans certains endroits, à une restructuration industrielle pour mettre en œuvre une économie d'échelle.

 

L'application des « sept droits »

Le village de Tangyue s'applique à respecter sept droits bien spécifiques, à savoir: droit d'exploitation forfaitaire des terres cultivées, droit de propriété forestière, droit de propriété des terres collectives, droit d'utilisation de terrains à bâtir sous propriété collective, droit de propriété d'un bien immobilier, droit de propriété de petits ouvrages hydrauliques et droit de propriété collective en milieu rural.

Tangyue est à 76,4 % recouvert de forêts. Après la mise en œuvre du droit de propriété forestière, plus de 2 000 mu d'espaces boisés ont été réaménagés pour l'élevage de volaille. 2 millions de poulets bio seront bientôt élevés ici. Suite à l'entrée en vigueur du droit lié aux petits ouvrages hydrauliques, la coopérative a planifié la construction d'une usine de production d'eau potable, qui créera de nouveaux postes pour les femmes du village. Par ailleurs, la coopérative est en train d'établir une porcherie moderne dotée d'une grande fosse septique, qui servira à approvisionner en engrais naturel les 600 mu de cultures maraîchères de Tangyue.

Voilà maintenant trois ans que la coopérative a été fondée et déjà 90 % des villageois en sont devenus membres. Après la définition des sept droits susmentionnés, 4 200 mu ont été associés pour donner lieu à des plantations à grande échelle. Actuellement, le village possède plus de 100 mu de champs de morilles, plus de 100 mu de zones de récolte de racines de lotus et plus de 300 mu de cultures maraîchères. La coopérative, la collectivité locale et les villageois se partagent les recettes accumulées selon un rapport 3:3:4.

En 2016, le groupe alimentaire Longyao de la ville de Shouguang (province du Shandong) a accordé à Tangyue une aide spéciale de 7 millions de yuans pour lutter contre la pauvreté dans le village. En outre, il a investi 4,7 millions de yuans dans la construction d'un parc agro-industriel. Aujourd'hui, ce parc, qui couvrira une superficie de plus de 300 mu, commence à prendre forme. Selon les plans, avec sa pépinière moderne, sa salle d'exposition de hautes technologies, son espace de cueillette et sa zone pilote de plantation à haut rendement, il permettra des retombées économiques estimées à 6 millions de yuans par an.

De paysans à actionnaires

Par le biais de la coopérative, l'économie collective s'est rapidement développée à Tangyue et dépasse le cadre de l'agriculture. Aujourd'hui, outre sa main-d'œuvre occupée à la production agricole, la coopérative dispose d'entreprises opérant dans le transport, la construction, la gestion des eaux, etc. Les villageois, en fonction de leurs compétences et de leur préférence, font le choix d'intégrer les équipes agricoles ou l'une des entreprises. Par exemple, beaucoup de femmes décident de travailler dans les cultures et gagnent au minimum 2 000 yuans par mois.

Luo Guanghui, 45 ans, est chef d'une équipe agricole. Il supervise les travaux de labourage et de culture intensive, en appliquant le principe de production normalisée à l'agriculture. Un mu de champ sous sa direction donne entre 3 500 et 4 000 kg de piments, qui se vendront à plus de 10 000 yuans au total. Après les piments, son équipe cultive durant une saison d'autres légumes, qui rapportent environ 4 000 yuans par mu.

Pour favoriser le rendement de chaque équipe tout en protégeant les paysans, un salaire de base reposant sur une valeur de production de référence a été fixé. Si la valeur de référence n'est pas atteinte, le salaire de toute l'équipe est déduit. A contrario, si la production excède cette valeur de référence, l'équipe, ainsi que chaque membre de la coopérative, peut prétendre à une prime.

Depuis l'existence de cette coopérative, le village a connu une métamorphose évidente. Auparavant, 30 % des terres arables étaient laissées à l'abandon. Un an après l'établissement de la coopérative, les équipes agricoles, composées majoritairement de femmes, avaient déjà défriché toutes les terres incultes et planté 1 250 mu de fruitiers, 150 mu de lotus pour en récolter les racines, 612 mu d'arbres et 400 mu de cultures maraîchères, qui fournissent en légumes la cantine scolaire de la ville. Les paysans n'ont donc même pas à se soucier de vendre leurs légumes à bon prix sur les marchés.

De son côté, l'équipe de construction ne chôme pas. Un ouvrier gagne 300 yuans par jour, tandis qu'un ouvrier assistant gagne 120 à 150 yuans en une journée. À l'heure actuelle, cette équipe est composée de 286 ouvriers (dont une centaine de femmes) répartis dans 12 métiers, y compris cimentier, plâtrier, plombier, maçon, électricien et décorateur d'intérieur.

L'équipe de transport, elle, rassemble plus de 40 membres, dont 60 % sont des personnes revenues travailler dans leur village natal. En échange des droits d'exploitation des terres, la coopérative garantit aux paysans l'octroi de crédits, pour que ces derniers puissent acheter une fourgonnette ou un camion et ainsi effectuer des missions de transport. À présent, l'équipe de transport possède un parc d'une cinquantaine de véhicules, sachant qu'un camion peut rapporter environ 30 000 yuans par mois, et une fourgonnette, environ 10 000 yuans par mois. Et les chauffeurs, les jours où ils ne sont pas sollicités, peuvent tout à fait vaquer à d'autres occupations rémunérées.

En quelques années, les paysans de Tangyue sont devenus actionnaires de la coopérative, les ménages pauvres ont pu dégoter des emplois et vivre plus décemment et les travailleurs migrants ont finalement décidé de rentrer au village. Selon les statistiques, le nombre de personnes parties travailler hors de Tangyue est tombé à 50 personnes, contre 860 deux ans plus tôt.

Aujourd'hui, à Tangyue, le quasi-plein emploi s'observe à tous les coins de rues. Mais le plus impressionnant, c'est de trouver en ce lieu une grande librairie, un centre d'e-commerce estampillé JD et un centre de services financiers. Qui aurait pu croire qu'un petit village du sud-ouest de la Chine compte autant de lecteurs parmi sa population et soit à ce point tourné vers l'extérieur avec sa plateforme de vente en ligne ?

En défrichant toutes les terres incultes, les paysans ont commencé à jouer un rôle primordial dans l'économie collective du village. À travers leur participation active à la construction de la coopération et au développement de Tangyue, ils ont amélioré leur niveau de vie. En 2013, le revenu annuel moyen des habitants était de 4 000 yuans, un chiffre qui a atteint 10 030 yuans en 2016. Quant au volume de l'économie collective, de 40 000 yuans en 2013 , il est passé à 202 145 yuans en 2016. En bref, dès 2016, tous les villageois étaient sortis de la pauvreté. Ainsi, Tangyue se pose en « village modèle » qui a su se transformer pour s'extraire de la misère.

À vrai dire, Tangyue n'est qu'un exemple parmi tant d'autres villages de la province du Guizhou qui ont réussi leur réforme en convertissant les ressources en biens, les fonds en titres et les paysans en actionnaires. Il s'agit d'une expérience remarquable en matière de réduction de la pauvreté, unique au Guizhou. D'ailleurs, en 2016, ce sujet a été abordé dans les dossiers du gouvernement central, qui souhaite promouvoir et propager cette expérience dans les autres provinces du pays. Elle viendra conforter les autres mesures gouvernementales de lutte contre la pauvreté, et permettra aux agriculteurs et éleveurs d'améliorer leurs conditions de vie.