9e Rencontre des dirigeants des BRICS| Interviews exclusives

Vers une collaboration durable des BRICS dans l’enseignement

2017-08-31 17:03

 

MAXIM KHOMYAKOV*

 

De nombreux experts de l'enseignement supérieur s'expriment aujourd'hui sur la révolution académique contemporaine. Leurs commentaires portent généralement sur quatre processus majeurs qui déterminent les changements radicaux de l'environnement universitaire actuel. Il s'agit de la massification, la commercialisation, la mondialisation et l'internationalisation.

 

Maxim Khomyakov
 

Un gouffre éducationnel

La plupart des universités du Sud échouent dans la course au marché de l'enseignement, en dépit de leur participation active. Celles qui s'abstiennent de concourir perdent dès le départ, celles qui participent découvrent l'impossibilité de rivaliser avec les centres établis de puissance académique, et perdent en bout de course. La course qui mène au statut d'élite académique est caractérisée par ce qu'on appelle l'Effet Matthew, selon lequel les réputations bien établies ne sont jamais remises en cause, mais plutôt renforcées. Cette réputation établie se vérifie dans les classements généraux de ligue académique mondiale.

Le gouffre grandissant entre le Nord et le Sud force les universités des économies émergentes à chercher des stratégies plus efficaces. Cependant, la tâche est double : il faut garder à l'esprit les problèmes caractéristiques des économies émergentes tout en acquérant des parts dans le marché mondial de l'enseignement à travers une participation active dans la course mondiale à l'excellence. Cet objectif se présente en deux stratégies qui loin de converger se contredisent souvent. La première manœuvre est incluse dans divers projets d'excellence dont le but est de transformer le système d'enseignement supérieur selon des standards externes et d'augmenter la compétitivité de ces universités en haussant leur classement mondial. L'autre est liée à la recherche d'une alternative au capitalisme de l'éducation transnationale en tentant de nouer des liens horizontaux entre les institutions éducatives du Sud.

Dans leur tentative de rattraper les centres de puissance académique, de nombreux pays implémentent ces fameux « Projets d'excellence » orientés vers la transformation de leur enseignement supérieur pour créer des universités de classe mondiale. Étant donné que, selon Ellen Hazelhorn, une experte du domaine, « une université de renommée mondiale rapporte entre 1 et 1,5 milliard de dollars par an », ces pays choisissent d'investir abondamment dans les institutions de l'enseignement supérieur. C'est pourquoi, au sein des BRICS, depuis 1999, la Chine a investi environ 6 milliards de dollars dans des programmes destinés à la création d'universités d'élite. La Russie a investi 8,785 milliards de dollars dans son célèbre projet 5/100 de 2012 à 2017 qui permet de hausser la « compétitivité internationale » des 21 meilleures institutions russes de l'enseignement supérieur. La liste des programmes d'excellence à travers le monde inclut également des projets au Japon (1,1 milliard de dollars), à Taiwan (2 milliards de dollars), en France (5 milliards de dollars), en Malaisie, en Espagne, etc.

Cependant, malgré des résultats intéressants, la progression des universités dans les BRICS dans les classements n'est toujours pas convaincante. Même le pays qui obtient les meilleurs résultats par ce biais, la Chine, malgré ses grands investissements, ne possède que sept universités dans le top 200 du classement Times Higher Education (THE) et huit universités dans le top 200 du classement QS World University. Les autres pays des BRICS possèdent uniquement une ou deux universités dans le top 200. En comparaison, le Royaume-Uni figure dans le top 200 du classement THE avec 32 universités et 30 de ses institutions sont listées dans le classement QS. Ce fait illustre idéalement ce gouffre éducationnel et les efforts désespérés consentis par les économies émergentes pour tenir tête aux élites académiques à l'aide des projets d'excellence. C'est également une bonne illustration de l'Effet Matthew qui hante toutes les universités du monde.

 

La coopération des BRICS dans l'enseignement

Les BRICS doivent manifestement traiter les problèmes les plus urgents à l'aide d'un mécanisme alternatif par la collaboration Sud-Sud. Cette collaboration présente plusieurs aspects importants.

Premièrement, la collaboration doit être égale et horizontale avec le but d'affronter des défis communs. Ensuite, cette collaboration doit être orientée vers le développement conjoint des parties engagées. En cela, cette collaboration semble entraîner une nouvelle compréhension du développement. Ce nouveau concept de développement a été annoncé (même s'il ne fonctionne pas encore tout à fait) par le Centre des études BRICS de l'université Fudan à Shanghai, en Chine. Le concept suppose un « jeu de la somme non-nulle », un développement gagnant-gagnant basé sur les principes d'égalité, d'autonomie et de durabilité. Avec cette base, les BRICS ne sont nullement engagés à l'encontre de l'ordre mondial néo-libéral, mais tentent de fournir une vision alternative du développement dépourvue des restes de l'impérialisme et du colonialisme.

 

Des élèves s'apprêtent à passer un test à l'Institut Confucius
de l'Université fédérale d'Extrême-Orient à Vladivostok, en Russie.
 

Bien que les BRICS fonctionnent selon un consensus pragmatique plutôt que normatif, s'ils veulent se développer et générer une réelle vision alternative d'orientation du monde, ils doivent avoir quelque chose à dire au monde, et pas seulement en termes purement pragmatiques mais également en terme de valeurs. Tout cadre de valeur requiert cependant des zones de convergences dans l'enseignement et dans la recherche ainsi qu'une riche interaction culturelle entre les pays. Le projet des BRICS doit comporter tous ces aspects pour être pris au sérieux.

La collaboration des BRICS est dès lors plus assimilable à l'idée de modernités plurales qu'à la théorie de la modernisation. La modernité est comprise comme une pluralité des « expériences et interprétations » (Peter Wagner) de la condition moderne plutôt qu'une série rigide d'institutions. Ce concept convient évidemment à l'idée d'un monde multipolaire (différent des structures bipolaires et unipolaires des relations internationales).

Cette compréhension de la coopération des BRICS requiert des actions conjointes dans l'enseignement et la recherche. Ces actions devraient être basées sur un nouveau type de collaboration horizontale entre les hautes institutions de l'enseignement dans les BRICS. L'une des initiatives les plus réussies est sans conteste le projet BRICS Network University (NU). Le réseau est formé de 55 universités issues des BRICS qui proposent conjointement des programmes de master et de doctorat dans les domaines prioritaires des études des BRICS : économie, ressources en eau, IT, écologie et énergie. Signé par les ministres de l'Éducation des BRICS, le NU implique des mécanismes de coordination horizontale complexes respectant les principes inhérents au nouveau concept de développement.

En d'autres termes, tous les efforts seront mis en œuvre pour garantir l'égalité et l'autonomie des participants dans ce qui devrait devenir une collaboration universitaire durable des BRICS.

Ainsi, le BRICS NU ne nécessite pas de secrétariat permanent ou de bureau de rectorat. Le président est mis en place annuellement par le pays qui assure la présidence des BRICS et toutes les décisions stratégiques sont prises collectivement par le Conseil d'administration international. Conformément aux règles en vigueur dans les autres entités BRICS, toutes les décisions sont prises sur la base d'un consensus et n'émergent pas du mécanisme du vote. La complexité du système rend parfois le processus décisionnel long et difficile. Cependant, il existe une compréhension générale que seul un système de ce type correspond aux principes d'égalité et d'autonomie de la collaboration des BRICS.

Dès lors, pour mieux s'intégrer au monde académique, les BRICS doivent se concentrer sur la collaboration horizontale des universités dont l'initiative du BRICS NU est une application exemplaire.

 

*MAXIM KHOMYAKOV est vice-président des affaires internationales et directeur du Centre d'études des BRICS à Ural Federal University, à Ekaterinburg, en Russie.