砥砺奋进的五年| Points de vue

Smart-City : enfer déshumanisé ou paradis urbain ?

2017-06-02 10:05

 

Le 13 février 2017, le BRT 47 qui lie Beijing et Dachang (Hebei) est mis en service.

 

VERENA MENZEL, membre de la rédaction

 

« Les étrangers répugnent à venir en Chine : la qualité de l'air y est mauvaise, les salaires modestes, le coût de la vie élevé » : c'est en ces termes que le correspondant en Chine de Tagesschau, un programme allemand d'informations télévisées, lançait début avril un de ses documentaires. Qu'il s'agisse du secteur privé ou du secteur public, apprend-on sur ce programme, les entreprises allemandes ont de plus en plus de mal à convaincre leurs employés de s'expatrier en Chine et même de garder sur place ceux qui y vivent déjà.

 

Pas étonnant, avec les gros titres catastrophistes qu'a suscités récemment la capitale du pays dans les médias du monde entier avec ses records de pollution atmosphérique, son métro bondé et les embouteillages monstres qui immobilisent les périphériques. Ces images de passants bardés de masques respiratoires au milieu du flot ininterrompu de voitures se sont durablement imprimées dans la mémoire collective occidentale.

 

La vie est-elle réellement si terrible que ça dans les mégapoles chinoises ? Quelle sera la qualité de la vie dans la région-capitale en cours de création en Chine ? Surtout maintenant que l'on a annoncé début avril la mise en place dans cette région d'une zone à régime économique spécial au plus haut niveau aux portes de la capitale ? Et enfin cette capitale, faudra-t-il cesser de l'appeler Beijing et s'habituer à l'appeler « Jing-Jin-Ji », son nom difficilement prononçable pour les Occidentaux ?

 

« Maladies infantiles » de la mégalopole

 

Nous sommes allés poser ces questions à un spécialiste étranger bardé d'informations sur ces sujets. Peter Tichauer, né en 1960, est venu à Beijing pour la première fois en tant qu'étudiant au milieu des années 1980. Depuis 2006, il habite et travaille en permanence dans la capitale où il est rédacteur en chef de ChinaContact, le principal magazine économique germanophone spécialisé sur la Chine. Il a participé, voici déjà 21 ans, à sa création.

 

« Je ne voudrais pas vivre ailleurs », affirme sans hésitation ce Pékinois d'adoption qui est arrivé ici pour la première fois en 1984, à une période où l'on pouvait encore rencontrer des troupeaux de moutons dans les rues. À l'époque, la construction du troisième périphérique se terminait à peine, et au-delà s'étendait la campagne chinoise. Des images qui n'existent plus que dans les mémoires des Pékinois les plus anciens. Depuis, on peut dire que Beijing est l'une des métropoles globalisées les plus dynamiques, et qu'elle est confrontée aux mêmes problèmes que tous les grands centres économiques et démographiques du monde.

 

M. Tichauer ne ressent pas encore la nostalgie de son pays d'origine, ni l'appel de Berlin, sa ville de naissance, ni même ne souhaite-t-il rentrer dans une autre partie de l'Europe. Vraiment ? Parlons franchement : même les expatriés les plus enthousiastes voient périodiquement leur moral baisser lorsque s'élèvent les taux de particules dans l'air, pas vrai ?

 

« Bien sûr, la mauvaise qualité de l'air est certainement un problème, mais je considère que les technologies modernes nous ont particulièrement sensibilisés à ce phénomène », explique cet imprimeur de formation devenu sinologue. « C'est effectivement nouveau, ces deux dernières années, ces phases d'une, voire deux semaines où la pollution battait tous les records d'intensité ici à Beijing. Bien sûr que cela frappe au moral. Mais nous ne pouvons pas non plus ignorer le fait que la Chine déploie actuellement des efforts immenses pour améliorer la qualité de l'air. Au total, la qualité de l'air des deux dernières années s'est significativement améliorée. C'est un fait, ces mesures ciblées qui sont prises, notamment par ces campagnes d'information préventive qui permettent aux personnes de mieux se protéger. »

 

La ville est sensiblement plus verte qu'il y a seulement quelques années, et cela se remarque aussi dans la campagne environnante, affirme l'Allemand. Il souligne : « Ce qui est certain, c'est que les problèmes environnementaux ne peuvent pas être résolus du jour au lendemain. Je suis convaincu que les Chinois prennent ce problème très au sérieux. » Il faut se souvenir que les pays industrialisés sont eux aussi passés par une période de pollution intense qu'il a fallu progressivement combattre. « Je me souviens de mes années d'écolier dans les années 1960, où l'on parlait de ces distributeurs automatiques d'oxygène que l'on pouvait trouver dans les rues de Tokyo pour permettre aux gens de prendre un bol d'air pur. Aujourd'hui, Tokyo est une ville propre ! » affirme ce spécialiste de l'Asie.

 

M. Tichauer considère d'ailleurs que cela n'apporte pas grand-chose de pointer la Chine du doigt. Il ne faut pas oublier que ce sont surtout des grandes entreprises occidentales, en particulier au début de la phase d'industrialisation qui a suivi la politique de réforme et d'ouverture, qui sont venues ici profiter des règlementations environnementales moins strictes que dans leurs pays d'origine. « Nous Occidentaux sommes en partie responsables de la dégradation de la qualité de l'air que nous observons ici, ne l'oublions pas. »

 

L'une des raisons de cette mauvaise qualité de l'air est bien sûr le boom urbanistique qu'a connu la métropole pékinoise. Il y a bien longtemps qu'elle s'est transformée en mégapole. Si l'on compte les banlieues qui l'entourent, Beijing s'étend sur une surface de 16 807 km² (le double de la superficie de l'Alsace). Avec ses quelque 21,5 millions d'habitants (recensement de mars 2016), elle représente un tiers de la population française. Les Pékinois viennent de toutes les régions du pays, appartiennent à tous ses groupes ethniques, de fait, on y rencontre des citoyens de pratiquement tous les pays du monde.

 

Cette vaste population doit bien sûr être approvisionnée. Électricité, eau, produits alimentaires, emplois, services. Une tâche prodigieuse, lorsqu'on y pense, surtout dans cette zone semi-aride et montagneuse du Nord de la Chine où l'on enregistre à peine 578 mm de précipitations par an, dont 62 % sur la période juillet-août, le reste de l'année étant particulièrement sec. Qui dit climat sec dit terrain poussiéreux, et on observe encore tous les deux ans en moyenne ces tempêtes de sable venues de la Mongolie intérieure qui plongent les gratte-ciel de la capitale dans un nuage apocalyptique.

 

Il est clair que les mégapoles chinoises ont atteint des proportions auxquelles il devient difficile, sinon impossible, de concilier la vie des populations et les questions environnementales. Par quels moyens peut-on pourtant adoucir un peu ces contradictions et rééquilibrer le développement urbain ?

 

Cérémonie de publication des timbres sur le thème « Le développement coordonné entre Beijing, Tianjin et le Hebei » le 9 mars 2017 à Shijiazhuang (capitale du Hebei)

 

À la recherche d'un meilleur équilibre

 

Le gouvernement chinois travaille d'arrache-pied à la recherche de solutions pour rééquilibrer l'urbanisation forcenée des campagnes et retrouver un chemin de développement raisonné. Dans la région de la capitale, il mise sur un mélange entre effets de synergie et une séparation des fonctions. À l'avenir, l'afflux de population ne se dirigera plus uniquement vers Beijing, mais se répartira aussi sur la métropole côtière de Tianjin et sur d'autres parties de l'arrière-pays du Hebei qui entoure les deux grandes villes. Il est prévu de créer selon ce scénario une nouvelle région-métropole qui portera le nom de Jing-Jin-Ji, un néologisme né de la combinaison des syllabes finales des trois entités, qui sont Beijing, Tianjin et « Ji », le nom historique de la province du Hebei.

 

« Il ne s'agit pas ici de créer de toutes pièces une nouvelle mégalopole au nom imprononçable, comme on a pu parfois le lire dans les médias étrangers. L'idée est bien plus de créer un cluster urbain de type nouveau, qui permettra à la fois de rassembler le potentiel de certaines régions et d'en débarrasser d'autres de certaines responsabilités, et ainsi de libérer des synergies de développement pour toute la région », explique le journaliste spécialisé dans les thèmes économiques. C'est une stratégie similaire que le gouvernement chinois a déjà mis en œuvre dans le delta de la rivière des Perles et dans celui du Yangtsé, ou encore dans la ville-région de Chongqing, au Sichuan situé dans le Sud-Ouest du pays. « Les régions doivent s'entraider et se compléter », c'est ainsi que M. Tichauer résume le principe à l'œuvre. Dans le cas de la région-capitale, on espère en particulier que la province encore peu développée du Hebei pourra bénéficier d'une impulsion nouvelle grâce aux plans élaborés par le gouvernement central.

 

Un rôle central sera dévolu à trois districts ruraux du territoire de la municipalité de Baoding, dans le Hebei, à environ cent kilomètres au sud de Beijing. Jusqu'ici, il s'agissait de trois taches blanches sur la carte. Mais début avril, le président Xi Jinping a annoncé que c'est là que la nouvelle zone de Xiong'an doit sortir de terre. Sa situation au sud-ouest de Beijing et Tianjin en fait le troisième sommet du triangle de développement Jing-Jin-Ji.

 

Ce n'est pas tout : en tant que projet pilote, Xiong'an est conçu comme un antidote expérimental à la classique « maladie des mégapoles », et c'est là que seront testées la transformation des structures économiques et la mise en pratique d'un nouveau modèle d'urbanisation. C'est pourquoi les fonctions qui ne relèvent pas de la capitale, que ce soit dans le domaine de l'administration, de l'enseignement ou de l'industrie et actuellement situées à Beijing seront à terme transférées vers cette nouvelle zone.

 

Le 29 mars 2017, des habitants de Beijing observent une maquette dans la Salle d'exposition de la planification urbaine.

 

Un nouveau « Shenzhen » ?

 

Les experts et les principaux responsables politiques du pays parlent de cette nouvelle zone économique en citant dans un même souffle les histoires à succès que sont la zone économique spéciale de Shenzhen dans le Guangdong ou celle de Pudong à Shanghai. Mais est-il réellement possible qu'une mégapole de ce type naisse ainsi à quelques encablures de la capitale ? Quelles sont les opportunités qu'offrirait cette zone économique spéciale de Xiong'an pour améliorer la qualité de la vie dans la région-capitale ?

 

M. Tichauer propose une analyse différenciée : « L'un des points communs qui est certain, c'est que Xiong'an tout comme Shenzhen ou Pudong bénéficie d'un appui au plus haut niveau de l'État. En revanche il est peu probable que l'on voie naître là une importante base industrielle avec des productions de masse comme on l'a vu à Shenzhen. » Le village de pêcheurs aux portes de Hong Kong s'est rapidement développé, grâce à une manne d'investissements de l'État peu après le lancement de la politique de réforme et d'ouverture, en une mégapole prospère qui fut rapidement surnommée l'« atelier du monde ». Xiong'an au contraire doit devenir le modèle de développement d'une ville intelligente, c'est à dire d'une zone économique moderne adaptée à notre âge de révolution technologique. En bref, il s'agit de la mise en place d'une industrie modernisée, mais aussi d'un exemple de méthodes pour créer une cité écologique, c'est-à-dire une cité qui harmonise industrie, vie et environnement, explique le journaliste.

 

De ce point de vue, Xiong'an a beaucoup à offrir aussi à des entreprises étrangères. « C'est particulièrement vrai pour des domaines comme la planification urbaine ou la gestion des eaux usées, la protection environnementale et les industries modernes respectueuses de l'environnement qui se basent sur le développement de l'Internet. Celles-ci aussi, nous devons les attirer vers Xiong'an », affirme M. Tichauer.

 

Un tel plan théorique, sorti des bureaux d'études, peut-il réellement fonctionner comme prévu dans la pratique ? Et la nouvelle zone possède-t-elle réellement le potentiel pour guérir les « maladies des villes », ou au moins les réduire significativement ?

 

« Il faut bien voir, naturellement, qu'une telle zone économique spéciale ne peut pas se développer du jour au lendemain. Dans le cas de Xiong'an, on parle d'un horizon éloigné et il ne faut pas s'attendre à un rythme de croissance aussi rapide que celui qui fut observé à l'époque à Shenzhen », modère ce connaisseur de la Chine.

 

L'une des idées clé de l'avancée vers l'intégration coordonnée de la région-métropole Jing-Jin-Ji réside dans la création d'un cluster et la construction de villes appelées « villes satellites », un concept que M. Tichauer considère comme une stratégie gagnante. « Cette stratégie apportera certainement beaucoup d'avantages au développement de l'ensemble de la région-capitale. En particulier la province du Hebei devrait observer une croissance forte et durable en raison de cette initiative. »

 

Pour réduire la pression du trafic automobile dans la capitale et disperser les jeux de balancier de la circulation entrante et sortante, ces nouvelles villes satellites doivent offrir de nouvelles solutions de travail et d'habitat plus rapprochées les unes des autres. Le gouvernement a par exemple annoncé que la gestion de la ville de Beijing serait transférée à Tongzhou, dans la banlieue de la capitale. Cela produira-t-il une réduction du trafic routier dans la capitale ? Cela reste à voir, explique le spécialiste. La même question demeure en suspens au sujet du transfert d'autres institutions et emplois vers la zone planifiée de Xiong'an. « Les personnes employées dans l'administration possèdent pour la plupart un domicile dans le centre-ville, ce qui implique que les problèmes de circulation liés aux trajets professionnels ne seront pas réglés, du moins dans un premier temps, par cette délocalisation. À mon avis, on ne fera que déplacer les problèmes de trafic de cette manière », affirme M. Tichauer. Un des point cruciaux qui détermineront le succès ou l'échec de cette région-capitale chinoise est le suivant : jusqu'à quel point parviendra-t-on à créer un environnement réellement attractif dans ces villes satellites ? La question est de savoir si les Pékinois seront prêts à déménager vers ces nouveaux centres urbains.

 

Mélange de plan et d'évolution naturelle

 

Afin que ce nouveau groupement de communes parvienne à s'intégrer de façon efficace et devienne un modèle de développement des nouvelles régions-métropoles, il sera nécessaire de réunir plusieurs conditions et de créer plusieurs structures. Une tâche qui, selon M. Tichauer, est en bonne voie : « Dans la mesure où le gouvernement chinois a mis en place des conditions générales favorables au développement de ces regroupements de villes, par exemple par l'installation d'infrastructures comme la création d'un réseau ferré inter-cités, d'une offre intermodale avec parkings proches des gares, des stations de métro et des nœuds de transports terrestres, on peut dire qu'un squelette est formé. L'organisme autour devra se développer par lui-même, les muscles doivent se former et la graisse s'installer. Le fait est que les villes satellites ont besoin de temps pour se remplir de vie. »

 

En ce qui concerne la pollution atmosphérique, les Pékinois ressentiront bientôt les bénéfices de la création de la nouvelle zone de Xiong'an. Les usines polluantes situées dans l'environnement immédiat de la capitale doivent prochainement être transférées vers d'autres régions de la province du Hebei, d'une part pour améliorer l'image de Beijing en tant que capitale propre, et d'autre part pour lancer la croissance et l'industrie dans la province jusqu'ici très en retard. « Mais il ne faut pas pour autant s'imaginer que l'on va transférer des unités de productions obsolètes et polluantes de Beijing vers d'autres parties du pays en les reconstruisant à l'identique. Ce transfert sera évidemment lié à une modernisation qui sera soumise à des standards environnementaux plus stricts », affirme le journaliste. Une approche d'amélioration de l'environnement et de la qualité de l'air qui devrait provoquer un ouf de soulagement dans la région entière.

 

C'est également dans le domaine de la connexion à Internet et du commerce en ligne que la Smart-City prévue à Xiong'an pourrait apporter des impulsions neuves à la nouvelle région-capitale. Dans ces domaines qui ont trait aux services informatisés, aux paiements en ligne et au commerce en ligne, Beijing est d'ores et déjà en avance sur l'Europe, pense M. Tichauer. « J'ai récemment vu un graphique qui permet de visualiser les plans de l'Allemagne sur les cinq prochaines années dans le domaine des paiements en ligne. Tout cela, nous l'avons depuis longtemps ici ! À Beijing, cela fait belle lurette que l'on peut payer partout à l'aide de son portable. On peut facilement quitter son domicile sans porte-monnaie et louer un vélo, se commander à manger par une appli et faire bien d'autres choses. Le futur numérique a déjà commencé dans les métropoles chinoises. »

 

« Le plus fascinant, c'est de voir à quelle vitesse ces idées sont adoptées en Chine. Les gens sont prêts à employer ces nouvelles technologies dans leur vie de tous les jours. De ce point de vue, les Chinois sont très pragmatiques dans leur évolution. C'est ludique et ça facilite la vie quotidienne », affirme ce Pékinois d'adoption. Au vu de cette flexibilité et de cet appétit de nouveauté, on est en droit d'attendre avec impatience de voir se concrétiser la région-capitale et le projet géant de Xiong'an dans ces prochaines années. Et c'est bien sûr ici, sur place, dans la capitale chinoise, que l'on sera aux premières loges pour en juger. Une métropole passionnante, qui a aujourd'hui déjà bien des attraits et qui est clairement au-dessus de sa réputation.

 

 

La Chine au présent