Accueil| Reportages exclusifs

Quand les entreprises privées se lancent à l’international

2016-12-02 13:06

 

Liu Chiping, administrateur exécutif de Tencent, et Ilkka Paananen, chef exécutif de Super Cell, se sont rencontrés à Helsinki le 21 juin 2016. Tencent compte acheter 84,3 % de Super Cell.

 

 

Liu Shaohua et Lei Gongming*

 

L'année 2016 est la quinzième année de la stratégie dite « d'internationalisation » comme on la nomme formellement. L'investissement chinois à l'étranger a subi un changement à la fois quantitatif et qualitatif. Après les consortiums d'État, ce sont désormais les entreprises privées qui se lancent à l'international et acquièrent le statut d'investisseur global.

 

Les fortunes privées renforcent la tendance

 

Ce n'est un secret pour personne, les entreprises chinoises s'engagent à l'étranger à marche forcée. Au premier semestre de cette année, alors que les fusions-acquisitions internationales initiées par des entreprises publiques augmentaient de façon significative, elles ont été pourtant dépassées pour la première fois par le montant des transactions de ce type par des entreprises privées. Deux tiers des 20 fusions-acquisitions les plus importantes sont le fait d'entreprises privées.

 

138 entreprises privées du Top 500 chinois ont ainsi réalisé au total, par leurs investissements directs ou des contrats d'infrastructures à l'étranger, un chiffre d'affaires de 164,15 milliards de dollars, en hausse de 35,2 % sur les chiffres de l'année dernière. Le nombre des projets d'investissement à l'étranger par des entreprises chinoises privées a également connu une forte augmentation, passant de 1 061 de l'année dernière à 1 328, pour un montant d'investissements totalisant 28,86 milliards de dollars.

 

Au mois de juin, Tencent a aquis 84 % du capital de Supercell pour 8,6 milliards de dollars, valorisant ainsi le créateur finlandais d'applications de jeux mobiles à plus de 10 milliards de dollars. La plus importante transaction mondiale dans le domaine des jeux, ainsi que le rapporte le Wall Street Journal.

 

Depuis 2006, Tencent a investi 17,8 milliards de yuans dans l'acquisition de 34 entreprises de jeux, dont 7 chinoises et les 27 autres américaines, sud-coréennes ou japonaises.

 

Long Yongtu, président du Center For China & Globalization, le constate : les investissements privés chinois à l'étranger ne cessent d'augmenter ces dernières années, particulièrement sur le marché américain où le montant des investissements des entreprises privées représente 76 % du total des investissements chinois et 90 % des projets d'investissement chinois proviennent des entreprises privées.

 

Parmi les secteurs où les entreprises chinoises privées sont les plus actives, on compte celui de la réalité virtuelle et la réalité augmentée. En février, Alibaba a consacré 793,5 millions de dollars d'investissements pour racheter l'entreprise Magic Leap, start-up basée en Floride spécialiste de la réalité augmentée. Simultanément, le groupe de Shanda annonçait son entrée au capital de The Void, premier parc thématique basé sur la réalité virtuelle lancé aux États-Unis, pour la construction d'un parc thématique de réalité virtuelle en Chine. Le 9 août, NetEase a annoncé son intention d'investir dans Next VR, une technologie américaine d'émissions en direct par la réalité virtuelle.

 

Depuis 2015, on a vu également de nombreuses entreprises chinoises des secteurs de l'audiovisuel et de la production cinématographique investir à l'étranger. Après l'acquisition d'AMC, la seconde chaîne de cinémas américaine, le groupe Wanda s'est lancé dans une série de fusions-acquisitions aux États-Unis, par la prise de contrôle pour prendre pied sur le marché international du film. Huayi Bros. Media Group a signé un plan de coopération cinématographique avec l'entreprise américaine STX. China Media Capital et Warner Brothers Entertainment ont créé une joint venture dans le domaine du cinéma.

 

En termes de destination des rachats lancés par des entreprises privées chinoises, ce sont toujours l'Amérique du Nord et l'Europe qui attirent la part la plus importante des capitaux, grâce à leurs technologies, leurs plates-formes existantes, leurs marques mondialement connues et leur vivier de consommateurs solvables.

 

En juin, par un rachat d'actions et une augmentation de capital, Suning Holdings Group a raflé près de 70 % des actions du club de football italien Inter Milan, pour un total de 270 millions d'euros.

 

Investissements le long des Nouvelles Routes de la Soie

 

Selon le rapport S'internationaliser : rêve global de l'usine du monde – perspectives des investissements chinois à l'étranger pour 2016 publié par Ernst & Young, les investissements chinois à l'étranger devraient connaître dans le courant de l'année une augmentation de plus de 10 % battant un nouveau record historique. Grâce à la mise en œuvre progressive de la politique d'internationalisation, mais aussi de l'initiative des Nouvelles Routes de la Soie et de la stratégie « Fabriqué en Chine 2025 », les investissements chinois à l'étranger devraient poursuivre leur forte croissance ces 5 prochaines années.

 

Le 28 août, la ligne ferroviaire Yiwu – Afghanistan de transport de marchandises est entrée en service : le premier train, qui emportait 100 conteneurs, a quitté la ville de Yiwu, dans la province du Zhejiang. Cette ligne est la cinquième qui permet de transporter les marchandises de cette ville vers l'étranger. Les quatre autres lignes sont : celle qui relie Yiwu à cinq pays d'Asie centrale depuis le 23 avril 2013, la ligne Yiwu – Madrid ouverte le 18 novembre 2014, la ligne Yiwu – Téhéran entrée en service le 28 janvier 2016 et la ligne Yiwu – Russie qui fonctionne depuis le 13 août 2016.

 

« Les trains reliant la Chine à l'Europe aident les entreprises privées du Zhejiang à trouver des clients à l'étranger et leur permettent d'investir le long des Nouvelles Routes de la Soie, déclare Bao Weidong, directeur général adjoint du Bureau des affaires portuaires et terrestres et de la gestion des ports de la ville de Yiwu. Il ajoute que la coopération s'étendra partout où iront les trains chinois.

 

En mars 2016, la Cité des menues marchandises de Chine s'est retrouvée connectée pour la première fois par voie ferrée à Varsovie, une ville que traverse le chemin de fer Yiwu – Xinjiang – Europe. Par ailleurs, des entreprises privées de Yiwu ont déjà établi 22 entrepôts à l'étranger, que ce soit à Moscou, à Madrid, à Lisbonne, au Cap ou à Sydney.

 

L'initiative des Nouvelles Routes de la Soie encourage les entreprises privées du pays à s'internationaliser.

 

« Cette année, le gouvernement du Sichuan a lancé une action intitulée ''Mille entreprises voyagent le long des Nouvelles Routes de la Soie'' pour accompagner l'expansion des marchés et la coopération d'investissement dans des régions comme le Moyen-Orient, l'Europe de l'Est, l'Afrique, l'Asie du Sud et la région de l'ASEAN », affirme Xie Kaihua, chef du Département du commerce du Sichuan. « Nous avons plus de 700 entreprises qui investissent à l'étranger, presque toutes privées. »

 

Le gouvernement du Sichuan projette de soutenir les 30 premiers projets pilotes visant la coopération internationale en matière de capacités de production et l'établissement des 3 premiers centres pilotes de coopération commerciale à l'étranger, ce qui permettra de gagner plus de 3 milliards de dollars de volume global d'import-export.

 

En tant que participants à ce projet, un grand nombre d'entreprises privées s'intéressent beaucoup aux pays traversés par les Nouvelles Routes de la Soie.

 

« L'Asie du Sud-Est est le point de départ de l'initiative des Nouvelles Route de la Soie. Grâce au soutien politique du gouvernement, nous pouvons nous développer à l'étranger en investissant au Laos », explique Li Guibin, président du groupe Guangyao Dongfang. Depuis 2010, cette holding qui regroupe des sociétés immobilières et commerciales a lancé au Laos des projets d'investissement dans l'électricité, les mines et l'industrie, comme par exemple la construction d'une centrale hydroélectrique à Lamphun, un projet de gisements de fer à Phalek et un premier projet d'aciérie.

 

L'entreprise privée Tsingshan Holding Group, du Zhejiang, qui achetait du minerai de nickel en provenance de l'île indonésienne de Sumatra, a obtenu une licence d'exploitation minière du chrome au Zimbabwe et créé des usines aux États-Unis. Actuellement, ce groupe place sa priorité dans le développement des métaux non-ferreux et dans la chaîne de production de la fonte et de l'acier inoxydable. Toutes ces nouvelles activités s'inscrivent dans cette volonté d'internationalisation.

 

« Chaque investissement à l'étranger de notre groupe se conforme non seulement aux stratégies du pays, mais aussi au changement structurel de l'économie nationale », se rengorge Xiang Guangda, président du groupe Tsingshan.

 

Le planisphère des projets d'investissement de ce groupe basé à Wenzhou ressemble à celui de la plupart des entreprises chinoises impatientes de s'internationaliser.

 

Établir les coopérations locales

 

Comment les entreprises privées investissant à l'étranger fonctionnent et se développent dans les pays et les régions qu'elles ont choisi ?

 

Rien n'est facile. Selon les statistiques du Boston Consulting Group, le taux de réussite des offres de fusion-acquisition à l'étranger par des acheteurs chinois est de 67 %, c'est-à-dire inférieur à celui des entreprises de pays développés comme les États-Unis, les pays européens ou le Japon. De quoi provient ce phénomène ? Les entrepreneurs chinois accusent généralement les différences culturelles et de réglementation.

 

« On ne peut pas simplement transplanter les règles chinoises à l'étranger », déclare Liu Yonghao, président de New Hope Group. « Il ne faut pas voir la fusion-acquisition à l'étranger comme une simple expansion des activités domestiques. »

 

L'expertise de Baidu consiste à fournir des produits mobiles adaptés en fonction des demandes locales. Par exemple, lancer une plate-forme en direct en Indonésie ou lancer un commerce d'achats groupés au Brésil. Aujourd'hui, la carte de Baidu comprend déjà plus de 100 pays. Selon la Conférence 2016 des technologies innovantes de Baidu qui s'est tenue le 1er septembre 2016, leurs produits mobiles sont déjà présents dans plus de 200 pays et régions, attirant 1,6 milliards d'utilisateurs dont 300 millions d'utilisateurs réguliers par mois. Des chiffres qui ont doublé depuis l'année dernière.

 

Établir les centres de recherche et de développement dans les pays étrangers possédant des technologies avancées est une autre méthode importante choisie par les entreprises privées afin d'accroître leur capacité créatrice et leur compétitivité à l'international.

 

Le 14 juin 2016, lors de la 4e Journée de l'innovation de Huawei en Europe, l'entreprise a annoncé l'établissement d'un centre de recherche mathématique en France qui accueillera plus de 80 chercheurs titulaires d'un doctorat. C'est le second centre de ce type créé par le géant des télécoms, après le centre de recherche mathématique fondé en Russie en 1999. L'objectif de ces centres est de renforcer la recherche fondamentale en science et en technologie, et particulièrement les recherches mathématiques.

 

Huawei dispose déjà de 16 centres de recherche dans le monde. Le centre français comprend 4 départements chargés respectivement de la conception, du traitement numérique de l'image, des mathématiques et des terminaux familiaux.

 

Le 4 novembre 2015, une autre grande entreprise chinoise des télécoms, ZTE, a ouvert un centre de recherche-développement à Tokyo, qui travaillera au développement des technologies-clés pour la 4G et la 5G, mais aussi à accélérer la commercialisation des technologies Pre5G et 5G au Japon. Un centre qui contribue en outre à approfondir la coopération avec l'industrie des télécoms et les milieux académiques du Japon.

 

La société Optics Valley Bluefire basée à Wuhan a quant à elle établi un institut de recherche au Danemark sur les technologies avancées de chauffage par biomasse. Le groupe Tri-Ring se targue d'avoir lancé un centre de recherche en Allemagne qui lui a déjà rapporté 2,15 milliards de yuans de revenus de l'international. Le Centre international des approvisionnements de Linyi, dans le Shandong, et l'entreprise de commerce international Huasheng disposent de plus de 100 agences commerciales à l'étranger, parmi lesquelles des entrepôts logistiques, des centres de recherche-

développement et un réseau perfectionné de marketing à l'international.

 

Selon Guo Guangchang, président du groupe Fosun, les entreprises chinoises, qui assistaient passivement à la mondialisation, font désormais preuve d'initiative pour réaliser l'utilisation optimum des ressources mondiales et participer à la croissance de l'économie mondiale.

 

 

*Liu Shaohua est journaliste pour le Quotidien du peuple (édition d'outre-mer).

 

Lei Gongming est étudiant en master de l'Institut de journalisme et de communication de l'université de Wuhan.

 

 

 

La Chine au présent