Reportage spécial

Encore une guerre commerciale Chine–É.-U. en 2010 ?

 

ZHANG XUEYING

 

LE 11 septembre 2009, le gouvernement des États-Unis a commencé à imposer pendant trois ans un tarif douanier élevé sur tous les types de pneus de voitures et camionnettes importés de Chine. Deux jours plus tard, le ministère chinois du Commerce déclarait qu’il allait demander que soit entamée une procédure d’enquête antidumping et antisubvention sur certains produits automobiles et sur les poules de réforme en provenance des États-Unis. À partir de cette période et jusqu’à la fin de 2009, les deux pays ont multipliées les enquêtes et menaces de mesures de rétorsion, ce qui est maintenant source de préoccupation pour divers milieux. C’est dans ce contexte que notre journaliste a interviewé M. Liang Guoyong, fonctionnaire aux affaires économiques à la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), qui se trouve actuellement à Genève, et lui a demandé d’analyser, de manière approfondie, les raisons et le contexte ayant donné lieu à ces différends, de même que la tendance prévue de leur évolution en 2010.

 

Selon vous, pourquoi les États-Unis appellent-ils au renforcement de la coopération, mais d’autre part infligent constamment des sanctions commerciales aux produits chinois?

 

Pour se sortir de la crise financière et du déclin économique, il n’y a aucun doute que les États-Unis ont un besoin urgent de coopérer avec la Chine. D’une part, le système financier perfectionné et la politique monétaire active de cette dernière ont joué un rôle important pour empêcher l’aggravation de la crise financière et promouvoir la stabilité du marché financier mondial; d’autre part, ses mesures financières incitatives d’un niveau sans précédent ont stimulé vigoureusement la croissance de l’économie chinoise pour contrer la crise, tandis que la reprise de l’économie chinoise qui a d’abord eu lieu a contribué considérablement à la reprise de l’économie mondiale. À l’heure actuelle, la Chine est devenue la plus importante force motrice de la croissance économique dans le monde, et il est hors de doute qu’elle sera une force positive pour redresser l’économie américaine. D’ailleurs, étant donné que la Chine est le plus important « créancier » des États-Unis, leur stabilité financière et la position du dollar US en tant que monnaie de réserve mondiale ne peuvent être dissociées d’une coopération avec la Chine. Conséquence : au cours de la lutte contre la crise financière, l’importance de la coopération économique et commerciale entre les deux pays s’amplifie de jour en jour, alors que le niveau des dialogues économiques stratégiques ne cesse de s’élever.

Pourtant, vers la fin de la crise financière, diminuer le taux de chômage et régler le déficit commercial considérable sont des affaires qui ne souffrent pas de retard de la part de la politique économique des États-Unis. Au cours de l’élaboration concrète de sa politique commerciale, le gouvernement américain n’a pas hésité à satisfaire aux demandes politiques des groupes d’intérêts particuliers à l’intérieur du pays, au prix de l’intérêt de ses principaux partenaires commerciaux. Étant le plus grand pays ayant une balance commerciale favorable avec les États-Unis, il n’est pas étonnant que la Chine soit la première touchée. Puisque les États-Unis ont réorienté leur politique commerciale à l’égard de la Chine, prendre des mesures de restrictions commerciales et exercer des pressions pour faire apprécier le renminbi est leur unique choix.

Pour les États-Unis, la manière de réaliser la reconversion des exportations est considérée comme le véritable espoir permettant une reprise de leur croissance économique. Dans les milieux économiques américains, on estime aussi que le déséquilibre économique mondial, notamment le déséquilibre commercial entre la Chine et les États-Unis ainsi que la crise financière ont un certain lien de cause à effet. Il faut absolument faire cesser ce déséquilibre et rétablir le nouvel équilibre de l’économie mondiale après la crise financière. Le fait que les États-Unis ont adopté constamment des mesures de sanctions commerciales contre les produits chinois montre qu’ils n’hésitent pas à recourir au protectionnisme pour exprimer leur détermination politique à rétablir l’équilibre.

 

Selon vos recherches, à quel niveau se situe le déficit commercial entre les deux pays actuellement?

Pour les statistiques commerciales et les déficits et surplus, les manières de calculer sont différentes entre les deux pays. Prenons l’exemple des calculs sur le commerce de transit des marchandises en provenance de la Chine. Dans les statistiques étatsuniennes, il existe une certaine surévaluation du déficit commercial entre les États-Unis et la Chine. De toute façon, il faut avouer que le déséquilibre de la balance commerciale entre ces deux pays est profond (NDLR : Selon les données fournies par le ministère chinois du Commerce, pour les dix premiers mois de 2009, la balance commerciale favorable de la Chine avec les États-Unis était de 107,87 milliards de yuans, soit une baisse de 18,4 % par rapport à la même période de 2008).

Toutefois, il faut également souligner que quantité de produits chinois exportés aux États-Unis sont fabriqués par des entreprises étrangères installées en Chine, alors que les pièces qui occupent la plus grande partie de la valeur totale proviennent de régions et de pays voisins, comme le Japon et la Corée du Sud. De plus, de nombreux produits ne passent en Chine que pour l’étape d’assemblage avant d’être exportés. Conséquence : la Chine est le bouc émissaire de l’excédent de la balance commerciale de ces pays et régions avec les États-Unis, car elle a, jusqu’à un certain point, servi de transit aux exportations vers les États-Unis.

C’est pourquoi il est important que l’évaluation du déséquilibre de la balance commerciale entre les deux pays soit faite dans le contexte des relations économiques et commerciales entre l’Asie de l’Est et les États-Unis, voire du déséquilibre économique mondial. Il faut trouver des solutions par des relations saines entre les pays concernés. Pour trouver peu à peu une voie permettant le rajustement de leur structure économique, il faut aussi que les États-Unis fassent des recherches sur le rapport de cause à effet entre les caractéristiques de leur économie et l’énorme déficit de leur commerce.

 

Des responsables américains ont exprimé en public que la balance commerciale négative du commerce Chine-États-Unis était due au fait que la Chine n’achetait pas de produits américains; à l’opposé, certains responsables chinois ont rétorqué que ce n’est pas la Chine qui ne les achète pas, mais les États-Unis qui ne leur vendent pas. Qu’en pensez-vous?

Les avantages comparatifs des deux pays décident des produits que chacun exportera à l’autre. La Chine exporte aux États-Unis un grand nombre de produits à forte densité de main-d’œuvre, tandis que ce dernier pays exporte en Chine des produits principalement à forte densité de capitaux et de technologies. Étant donné l’industrialisation et l’urbanisation accélérées de la Chine, celle-ci a un besoin énorme en produits de technologie de pointe des États-Unis; toutefois, vu le contrôle exercé par les États-Unis sur les exportations en Chine de ce genre de produits, l’énorme potentiel de la demande n’a pu être exploité. Par conséquent, il est nécessaire que les États-Unis révisent cette politique dépassée, issue de la guerre froide, ce qui aidera à régler la question du déséquilibre de la balance commerciale.

 

Selon des estimations de spécialistes chinois, en 2010, les différends commerciaux sino-américains toucheraient principalement l’industrie chimique, le textile et les vêtements, les produits mécaniques et électroniques, ainsi que la sidérurgie. Si, en 2010, s’ajoutent d’autres secteurs qui seraient touchés par des mesures antidumping, quelle sera d’après vous leur proportion dans le volume total du commerce bilatéral?

À mon avis, les différends seront concentrés dans les secteurs chinois dont la compétitivité augmente le plus rapidement. Dans ces secteurs en amélioration, les produits chinois ont enregistré une croissance rapide de leur part de marché aux États-Unis. C’est ainsi qu’il est facile aux entreprises chinoises de toucher le « gâteau » des parties en présence, d’où des sanctions commerciales. Les secteurs concernés appartiennent pour la plupart à la catégorie des produits mécaniques et électroniques, ainsi que de l’industrie chimique (l’industrie lourde traditionnelle). Pour ce qui est des secteurs qui seraient touchés par des mesures de rétorsion qu’adopterait la Chine, on ne peut pas se prononcer de façon précise. Cela risque d’être plus particulièrement les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre, comme l’agriculture, l’automobile, la sidérurgie, etc.

Si le protectionnisme venait à être hors de contrôle, les différends commerciaux prendraient de l’ampleur, ce qui porterait fortement atteinte au commerce sino-étatsunien et engendrerait une situation « perdant-perdant ». Ce qui est prévisible, c’est que, pour éviter cette situation, les parties en présence se feront mutuellement des concessions pour aboutir à un compromis. Dans ces conditions, en 2010, les sommes qui auront trait aux mesures concernées devraient être maîtrisées et ne devraient pas être importantes au point d’influencer les relations économiques et commerciales entre les deux pays.

 

Puisque les États-Unis ont lié la balance commerciale défavorable au taux de change du renminbi, ils demandent une appréciation du yuan. Selon certains spécialistes, le taux de change du yuan contre le dollar US devrait augmenter légèrement de 3 à 5 %; quel est votre avis?

Le taux de change du renminbi ne constitue pas la raison essentielle du déséquilibre de la balance commerciale entre la Chine et les États-Unis; c’est une raison parmi d’autres. La correction du déséquilibre nécessite les efforts communs des deux parties dans de multiples domaines, alors que le recours à la guerre commerciale est la façon la moins judicieuse d’y parvenir. Étant donné que, dans le contexte de la crise financière, les différends commerciaux sont devenus de plus en plus une question politique, permettre une légère appréciation du yuan est un simple élément du jeu des relations économiques et commerciales sino-étatsuniennes.

D’ailleurs, en tenant compte de la conjoncture économique intérieure et de l’objectif qu’a le pays de rajuster sa structure économique, il est probablement nécessaire de procéder à un certain réalignement du taux de change du renminbi. La proportion de cette réévaluation ( de 3 à 5 % ou encore plus) et le moment de modifier la politique d’ancrage du yuan au dollar US et de le rattacher à un panier de devises, tout cela reste inconnu. Cependant, une tendance générale semble se manifester : pour un certain temps, il se peut qu'une légère appréciation du yuan à un moment opportun soit la note dominante de la politique en matière de taux de change du renminbi.

 

Certains spécialistes chinois estiment que le comportement du gouvernement chinois dans les procédures contre le dumping a témoigné de sa préparation insuffisante, alors que d’autres ont trouvé son attitude trop faible. Comment évaluez-vous les mesures adoptées par la Chine?

Il est absolument nécessaire de prendre des actions adéquates contre des mesures protectionnistes déraisonnables, mais le cercle vicieux des sanctions et des réactions excessives nuira à tout le monde. Seul le compromis permet d’aboutir au but. Quant aux entreprises affectées par le protectionnisme, elles doivent y répliquer activement afin de défendre leurs propres intérêts.

 

Les sanctions commerciales imposées à la Chine par les États-Unis pourraient-elles entraîner des effets en chaîne? Si les différends s’aggravaient, quelles répercussions auraient-ils sur l’économie chinoise, voire sur l’économie mondiale?

Les relations Chine-États-Unis constituent l’une des plus importantes relations bilatérales à l’échelle mondiale, de sorte que de bonnes relations économiques et commerciales entre les deux pays sont d’une importance cruciale pour la saine croissance de l’économie de chacun des deux pays et de l’économie mondiale. Si les différends commerciaux s’aggravaient, les intérêts économiques des deux parties en présence seraient lésés et la reprise économique des deux parties serait fortement ralentie, ce qui porterait un dur coup au redressement de l’économie mondiale après la crise financière.

Pour l’heure, le protectionnisme à l’échelle mondiale se trouve dans un cadre qui peut être contrôlé. Toutefois, si les grandes puissances commerciales ne maîtrisent pas le recours aux sanctions commerciales, les effets des représailles et le modèle qui en résulteront pourraient engendrer un protectionnisme hors de contrôle.

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