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Le premier restaurant privé après la réforme et l’ouverture

2018-07-03 11:04:00 Source:La Chine au présent Auteur:WANG JIAHUI
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La cérémonie d’ouverture de restaurant Yuebin en 1980

 

 

WANG JIAHUI*

 

Le hutong (ruelle) Cuihua se trouve à l’intérieur du deuxième périphérique, proche du Musée des beaux-arts de Chine. Vers midi, l’air du hutong est chargé de l’odeur des plats et nous guide à un petit restaurant. Sur sa façade est accroché l’enseigne « Yuebin ».

 

L’ouverture anticipée

 

Le restaurant est discret. La porte est si étroite qu’elle ne laisse passer qu’une personne. Sur le panneau on peut lire « Le premier restaurant privé ». Peu de personnes savent que ce restaurant, à la décoration un peu désuète, a soulevé la vague des restaurants privés à Beijing et même dans tout le pays.

 

Il y a quarante ans, l’économie privée était une expression empreinte de l’idée de « classe » en Chine. Le 9 avril 1979, le Conseil des affaires d’État a proposé pour la première fois le rétablissement et le développement de l’économie privée, donnant le feu vert à la délivrance du permis commercial aux travailleurs indépendants qui se lanceraient dans le secteur tertiaire.

 

En 1980, Liu Guixian et son mari Guo Peiji ont ouvert le restaurant privé Yuebin et ont obtenu le premier permis commercial de restauration de Beijing sous le numéro 001.

 

Jambonneau à l’ail, crevettes décortiquées sautées, chou chinois avec gluten… ces plats phares et encore fumants présentés sur la première page du menu sont servis dans des assiettes en porcelaine blanche. Les cuisiniers changent, et le restaurant est désormais confié aux mains de la troisième génération de la famille. Mais les plats sont toujours préparés selon les recettes élaborées par Liu Guixian il y a 38 ans.

 

À l’époque, Guo Peiji était cuisinier dans une entreprise publique et son salaire mensuel était d’une trentaine de yuans (un dollar équivalait 1,53 yuan à l’époque). Liu Guixian travaillait par intermittence — elle faisait la cuisine chez un haut fonctionnaire. Le couple avait quatre fils et une fille. Toute la famille ne dépendait que du salaire de Guo Peiji. Au début des années 1980, « les jeunes en attente d’un travail » était devenue une expression nouvelle, beaucoup ne trouvaient plus aussi facilement un emploi.

 

En 1979, Deng Xiaoping avait indiqué que l’ouverture des restaurants, des boutiques et des bars privés était autorisée pour créer plus d’emplois. Devenir travailleur indépendant était l’un des moyens pour résoudre le problème du chômage. En février 1979, l’Administration nationale de l’industrie et du commerce avait soumis un rapport au gouvernement central proposant que les gouvernements locaux pourraient permettre aux travailleurs indépendants de se lancer dans la réparation, les services et l’artisanat à la condition de ne pas embaucher de la main-d’œuvre. Ce rapport a été le premier sur l’économie privée que le Comité central du Parti communiste chinois (PCC) et le Conseil des affaires d’État aient entériné.

 

Le jour où Zeng Xianzhi, l’ancienne femme de Ye Jianying (l’un des dirigeants du PCC et du pays) est retournée à Beijing après avoir visité le Royaume-Uni, elle a voulu goûter les plats de Liu Guixian. « Au moment du repas, Mme Zeng a dit à ma femme que les plats servis dans les restaurants chinois à l’étranger n’étaient pas comparables à ceux préparés par elle. Elle lui a proposé d’ouvrir un restaurant à Beijing qui attirerait certainement beaucoup de clients. Mais nous n’osions pas penser à cela. Ensuite, Mme Zeng nous a pressé encore une fois de le faire, et nous avons écrit une demande », se rappelle Guo Peiji. Lorsque la demande est rédigée, le problème pour Guo Peiji et sa femme était de savoir où la déposer. Ils sont allés au Bureau de quartier pour faire apposer le sceau sur la demande, mais le personnel a indiqué : « Il faut encore avoir un permis commercial. »

 

Par la suite, Liu Guixian est allée au Bureau de l’industrie et du commerce de l’arrondissement Dongcheng pour demander un permis commercial. À ce moment-là, on avait déjà délivré des permis commerciaux aux travailleurs indépendants dans la filière de la réparation et de l’artisanat, mais pour d’autres filières, la politique n’était pas précise. « Liu Guixian m’a profondément marqué. D’autres personnes sont parties quand il n’y avait pas de résultats, mais Liu Guixian est venue tous les jours pendant un mois pour se renseigner. Elle s’est avérée très déterminée et patiente », se rappelle Jin Yunping, alors directeur adjoint du Bureau de l’industrie et du commerce de l’arrondissement Dongcheng.

 

« Nous voulions procéder à des expériences pilotes. L’équipe dirigeante du bureau a discuté et s’est mise d’accord pour faire une exception dans le cas de Liu Guixian », ajoute Jin Yunping. Comme il n’y avait pas d’exemple de permis commercial, on en a écrit un, Jin Yunping l’a signé et y a apposé le sceau. C’est ainsi que Liu Guixian a obtenu le premier permis commercial pour un restaurant privé à Beijing après la réforme et l’ouverture.

 

Une des trois pièces a été aménagée en restaurant. Les matériaux de construction pour la cuisine ont été empruntés à l’entreprise où Guo Peiji travaillait. Liu Guixian a acheté quatre tables et quinze chaises de deuxième main ; elle a trouvé encore un seau de fer qui a été transformé en four.

 

Le couple avait envisagé d’ouvrir le restaurant le 1er octobre 1980. Le matin du 30 septembre, Guo Peiji a demandé un congé à son employeur et Liu Guixian a voulu faire la cuisine pour essayer le four. Elle avait dépensé 34 yuans, tout ce que la famille possédait, et acheté quelques canards. Elle voulait préparer quelques plats pour que ses voisins puissent les goûter.

 

Lorsque Guo Peiji est rentré à la maison à midi, la ruelle était bondée et beaucoup de personnes faisait la queue qui s’étirait jusqu’à l’entrée de la ruelle. Un de ses voisins lui a dit : « Ton restaurant s’est ouvert, tu vas au travail ? Rentre, il y a beaucoup d’étrangers ! »
 
 
Le restaurant Yuebin en 2018

 

Ne plus s’inquiéter

 

Le restaurant Yuebin est devenu ainsi le premier restaurant privé en Chine après la réforme et l’ouverture. ce jour-là, l’ouverture anticipée a été rapportée par un journaliste américain : au cœur de la Chine communiste, dans une étroite ruelle, réapparaissent une nourriture délicieuse, l’industrie et le commerce privés.

 

Le premier jour, Liu Guixian a gagné 38 yuans, l’équivalent d’un mois de salaire d’un ouvrier à l’époque. Le restaurant possédait quatre tables, il ne pouvait accueillir que quatorze ou quinze clients en une journée. Pour prendre un repas dans ce restaurant, il fallait faire la queue et parfois même attendre une soixantaine de jours.

 

Au début, les Chinois ordinaires ne sont pas venus souvent prendre un repas dans le restaurant, car cela coûtait l’équivalent d’une semaine de courses alimentaires pour une famille de salariés. Les clients étaient plutôt des enfants de hauts fonctionnaires, des étrangers vivant dans les zones diplomatiques ou des journalistes qui venaient faire une interview. En une seule journée, une vingtaine de journalistes se sont pressés pour interviewer Liu Guixian. Certains d’entre eux étaient dans la cour. Liu Guixian préparait les plats dans la petite cuisine et répondait à leurs questions à travers la fenêtre ouverte.

 

L’ambassade américaine en Chine a même voulu prendre un repas dans ce restaurant en réservant une table. Ils ont commandé un repas à raison de 10 yuans par personne. À l’époque, tout était très bon marché : la soupe aux choux et au tofu ne se vendait qu’à 0,19 yuan ; les émincés de porc sautés se vendaient à 0,56 yuan ; les crevettes sauce brune coûtaient 2, 4 yuans. Les Américains mangeaient tranquillement et parlaient très peu. Liu Guixian, un peu angoissée, ne savait pas si les plats leur plaisaient. Elle n’a été rassurée que lorsqu’elle a vu que les assiettes étaient toutes vides.

 

Le restaurant avait gagné en célébrité mais il avait aussi suscité des critiques. « Les opinions étaient diverses. Certains ont dit que notre famille était l’avant-garde du rétablissement du capitalisme. Même le mariage de notre fille a failli échouer. » Chaque jour, lorsque Guo Peiji, revenant de son service, arrivait à l’entrée du hutong, il descendait de son vélo et le poussait en silence pour rentrer chez lui. Il avait peur que le bruit n’attirât l’attention.

 

« Le matin du premier jour du Nouvel An chinois en 1981, le vice-premier ministre Yao Yilin et la vice-première ministre Chen Muha de l’époque sont venus chez moi pour présenter leur vœux de bonne année. Les dirigeants nous ont dit de ne pas avoir peur. » Liu Guixian et Guo Peiji étaient enfin rassurés.
 
 
Guo Peiji, le mari de Liu Guixian, a accordé une interview à une chaîne télévisée finlandaise.

 

Toujours rester dans le hutong

 

En octobre 1981, les Décisions prises par le Comité central du PCC et le Conseil des affaires d’État sur la résolution des problèmes de l’emploi et la réactivation de l’économie par tous les moyens ont été promulguées. Elles stipulent que « les travailleurs indépendants sont également des travailleurs du pays socialiste ». Les restaurants privés émergeaient alors dans la ville de Beijing comme des champignons après la pluie.

 

Par la suite, les affaires du restaurant ont été florissantes. En quelques années, la famille a gagné une grosse somme d’argent. Au moment de l’ouverture, Liu Guixian avait emprunté 500 yuans à la banque. En moins de trois mois, elle s’était acquittée de sa dette. À ce moment-là, il était interdit d’embaucher des travailleurs. Les cinq enfants ont tous donné des coups de main dans le restaurant. Deux fils travaillaient tous les jours avec Liu Guixian. Les aînés donnaient des coups de main après le travail. Pendant la haute saison, tous les membres de la famille travaillaient dans le restaurant : fils, belles-filles, fille, gendre.

 

En 1992, Liu Guixian a ouvert le deuxième restaurant dans le même hutong Cuihua, baptisé « Yuexian », à quelques dizaines de mètres du restaurant Yuebin. Sa fille Guo Hongyan a démissionné de son poste dans une entreprise publique et s’est mise à travailler toute la journée dans ce restaurant.

 

Avec le développement de l’économie privée, le restaurant a connu également des changements. La petite-fille du couple Guo Hua se rappelle : son père a été critiqué maintes fois par sa grand-mère en raison de la comptabilité et des affaires fiscales. « Peut-être, est-ce pour cette raison que mon père m’a envoyée faire des études en comptabilité. »

 

38 ans ont passé depuis. Toutes sortes de restaurants se sont nichés dans les rues de Beijing, offrant toutes sortes de délices. Cependant, le restaurant Yuebin est toujours là, dans le hutong, l’intérieur est toujours le même qu’il y a trente ans.

 

Le temps passe lentement dans ce restaurant. Le menu n’a pas changé non plus. Les plats principaux sont toujours les mêmes, servis dans des assiettes blanches. On utilise toujours le boulier-compteur pour calculer au moment de l’addition. On doit payer en argent comptant, mais maintenant, le paiement par portable est accepté.

 

Le chef cuisinier travaille ici depuis une dizaine d’années. Originaire du Gansu, He Jianjun a été recruté en 2005. Au début, il était serveur, puis il a fait toutes sortes de boulots dans la cuisine avant de devenir le chef cuisinier. Maintenant, il transmet son art aux jeunes de la famille des Guo. « L’art culinaire que j’ai appris ici ne s’applique pas dans les grands restaurants. La façon de préparer est différente. J’ai aussi travaillé dans des grands restaurants pendant un certain temps. Mais je suis revenu ici car on utilise encore des sauces de soja et du vinaigre pour préparer les plats », explique He Jianjun. Au cours de ces dix années, He Jianjun a fait la connaissance de sa femme dans le restaurant. Ils ont déjà un fils. Dans sa vie, le restaurant est devenu incontournable.

 

Le petit restaurant est aussi étroitement lié à la vie des voisins. Le 11 avril, à midi, Liu Fen, 76 ans, avec trois amies, attend que les places se libèrent pour entrer et prendre un repas. « Depuis l’ouverture du restaurant dans les années 1980, je viens souvent y manger. Je connais le couple propriétaire ; à l’heure actuelle, c’est leur belle-fille qui s’occupe du restaurant. Je mange souvent les boulettes frites », raconte Liu Fen.

 

La société chinoise a connu des changements fulgurants. Le restaurant niché dans la ruelle n’a pas été épargné, bien qu’il n’ait pas beaucoup changé. Il n’offre pas de service de livraison à domicile et il ne s’est pas agrandi. Il n’a pas ouvert de succursales.

 

Certains internautes postent des commentaires expliquant que le restaurant Yuebin s’accroche à son passé. D’autres pensent que le restaurant ne vit pas avec son temps.

 

En réalité, tous les changements possibles ont été discutés au sein de la famille. Par exemple, il y a des personnes qui ont proposé de participer au capital du restaurant. Après réflexion, les Guo ont refusé, parce qu’« il n’y a pas d’espace supplémentaire, le hutong n’étant pas large. Sans le hutong, le restaurant n’est plus lui-même ».

 

Selon Guo Hua, petite-fille du couple, depuis des dizaines d’années, l’énergie de toute la famille a été consacrée au restaurant, il faut donc être prudent avant de prendre des décisions. « Nous voulons garder la marque et les caractéristiques créées par notre grand-père et notre grand-mère. »

 

Le restaurant de la troisième génération a connu des changements et des révolutions. « Notre grand-père et notre grand-mère travaillaient dur et ils ont fait beaucoup d’efforts pour maintenir le restaurant. Maintenant, nous devons résoudre les nouveaux problèmes et perpétuer le restaurant », conclut Guo Hua.

 

 

*WANG JIAHUI est journaliste du quotidien The Beijing News.

 

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