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Halte aux affaires d’« espionnage chinois »

2018-07-02 16:45:00 Source:La Chine au présent Auteur:ZHENG RUOLIN
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ZHENG RUOLIN*

 

Il n’y a pas longtemps, une nouvelle affaire d’« espionnage chinois » a fait la une des médias français : deux ex-agents français de renseignement ont été arrêtés. Ils auraient été recrutés par les services de renseignement chinois alors qu’ils travaillaient à l’ambassade de France en Chine dans les années 1990. L’un d’entre eux s’appelle M. Henri et serait tombé amoureux d’une interprète chinoise de l’ambassade qui lui aurait tendu un piège. Une vingtaine d’années plus tard, juste avant la visite du président Macron en Chine, cet homme a été arrêté. Cette nouvelle, dévoilée par les médias français juste avant les vacances d’été, période creuse pour la presse, a été un véritable coup d’éclat en France !

 

Espion chinois ? Agent double ? Trahison ? Piège tendu par une belle femme ? Voilà une histoire tout à fait fascinante ! Une mine d’or pour les médias français, et le début d’un tapage médiatique...

 

Le 2 juin, le programme « C dans l’air » de France 5 a diffusé un épisode intitulé Espionnage : des services pas si secrets, dans lequel était mentionnée cette nouvelle affaire d’espions chinois. L’émission n’a donné aucun détail sur l’affaire M. Henri. D’ailleurs, il n’y a pas d’information de source officielle qui confirme son recrutement par les services de renseignement chinois. Les invités ont échangé des propos superficiels, donnant l’impression aux téléspectateurs que les espions chinois étaient partout en France. Un invité a même déclaré que les autorités françaises « surveillaient de près les 50 000 étudiants chinois en France ». À croire que les étudiants chinois sont tous des « James Bond » potentiels… Au cours de la discussion, les invités n’ont pas manqué d’évoquer une affaire qui avait défrayé la chronique il y a quelques années au sujet d’une espionne industrielle nommée Li Li. Je connais moi-même très bien cette histoire car j’ai été amené à faire des reportages à ce sujet lorsque je travaillais en France.

 

En Chine, on dit qu’ « il faut réchauffer l’ancien pour comprendre le nouveau ». Passer en revue les anciennes affaires d’ « espionnage chinois » permet de mieux comprendre cette nouvelle affaire. Le 29 avril 2005, une dépêche de l’AFP a fait la une de l’actualité dans les journaux, à la radio et à la télé en France : une « Mata Hari » chinoise chez Valeo. Soupçonnée d’espionnage industriel, une stagiaire chinoise du nom de Li Li Whuang a été arrêtée par la police française. Li Li a été décrite par les médias comme une brillante polyglotte qui parlait le français, l’anglais, l’allemand, l’espagnol et même l’arabe et qui était diplômée en maths, en mécanique et en physique. Cette jeune chinoise talentueuse était soi-disant capable de déjouer les systèmes de sécurité informatique et possédait des équipements de pointe : six ordinateurs « puissants » et un disque dur « gigantesque »… Les médias français ont suivi cette affaire pendant des semaines, la considérant comme « une grave affaire d’espionnage » et Valeo n’a pas hésité à parler de « guerre économique ». Pour le parquet, c’était l’ « affaire d’espionnage du siècle ».

 

Et la réalité ? Après deux ans d’enquête approfondie, le président du tribunal a conclu que « l’instruction n’avait fait apparaître aucun transfert à l’étranger… ». Quant à la fameuse « Mata Hari », elle était loin de parler le français couramment et elle a repassé deux fois ses examens d’anglais ; elle ne parlait pas du tout l’allemand, ni l’espagnol ou l’arabe. Les six ordinateurs ? Un ordinateur portable personnel, un ordinateur de bureau que la jeune fille partageait avec son ami français et un vieil ordinateur des parents de son ami français… Le fameux disque dur avait une capacité « gigantesque » de 40 gigas ! La police a confirmé que Li Li n’avait pas eu besoin de code ou de connaissances techniques exceptionnelles pour briser le système de sécurité, accéder aux « documents confidentiels » et copier ces documents sur son disque. Une source m’a indiqué que son dossier avait été transféré à la Direction de la Surveillance du Territoire (DST), mais que malheureusement, la DST n’avait pas été « intéressée ».

 

La stagiaire chinoise a finalement été condamnée à un an d’emprisonnement, dont dix mois avec sursis et deux mois de prison ferme, une période couverte par la détention provisoire. L’objectif était de ne pas la renvoyer en prison de façon à ce que l’institution judiciaire française n’ait pas besoin de s’excuser. C’est ainsi que s’est terminée l’ « affaire d’espionnage du siècle ».

 

Quelques années plus tard, c’est une affaire d’« espionnage industriel chez Renault » qui a fait sensation.

 

En janvier 2011, Le Figaro a publié un scoop : la direction de Renault soupçonnait trois de ses cadres d’avoir divulgué à la Chine des informations secrètes concernant un nouveau type de voiture électrique. Ces trois Français ont été licenciés. L’histoire a commencé à l’été 2010 lorsque la direction de Renault a reçu une lettre anonyme accusant les trois salariés d’avoir vendu des informations industrielles à la Chine. Renault a ensuite recruté une société de renseignement privée pour enquêter sur cette affaire. Le 3 janvier 2011, Renault a annoncé que l’entreprise avait décidé de licencier les trois salariés et les résultats de l’enquête ont été dévoilés. Selon Le Figaro, ces trois salariés possédaient des comptes secrets au Luxembourg, au Liechtenstein et en Suisse, et deux entreprises chinoises, dont China Power Grid Corporation (en fait, cette entreprise n’existe pas, il s’agit de l’entreprise State Grid Corporation of China ), auraient versé entre 140 000 et 50 000 euros sur ces comptes. Le Figaro a laissé entendre que la Chine aurait volé la technique française pour développer des batteries d’accumulateurs pour véhicules électriques.

 

Le manque de preuves n’a pas empêché Renault ni les médias français d’accuser la Chine qui a manifesté sa colère face à ces accusations sans fondement, irresponsables et inacceptables. Selon Le Canard enchaîné, Renault n’avait aucune preuve. Pourtant, le PDG de Renault, Carlos Ghosn, a déclaré au journal télévisé de TF1 qu’il possédait des preuves incontestables.

 

Après l’intervention des services de renseignement français dans cette enquête, ces « preuves incontestables » se sont évaporées. Les comptes des trois salariés au Luxembourg, au Liechtenstein et en Suisse n’existaient pas. Au même moment, Dominique Gevrey, le responsable de la sécurité de Renault, a été arrêté à l’aéroport de Paris alors qu’il tentait de fuir vers la Guinée. C’est lui qui avait monté de toutes pièces cette histoire d’espionnage, obtenant de Renault une somme de 310 000 euros en échange d’une source inexistante.

 

Dans ces deux affaires, on ne peut que déplorer le manque de professionnalisme de certains médias français. Dans l’affaire Li Li, la journaliste de l’AFP avait découvert que la stagiaire venait de la ville de Wuhan, une ville chinoise qui a établi avec la France une étroite coopération dans le domaine automobile. Il semblait donc logique d’accuser Li Li d’espionnage industriel. Cette journaliste s’est encore ridiculisée en affublant la jeune chinoise du nom de Whuang, parce qu’elle pensait que Li Li n’était qu’un prénom. En voyant le mot Wuhan dans le dossier, elle a fait de « Whuang » le nom de famille de Li Li. Pour l’affaire de Renault, il suffit de faire une recherche sur l’entreprise  « China Power Grid Corporation » pour découvrir qu’elle n’existe pas et qu’il s’agissait d’une fausse information. Mais aucun média n’a pris la peine de vérifier ces détails.

 

La confiance mutuelle est très importante dans les relations entre les pays. Le tapage médiatique autour de ces affaires d’espionnage chinois ne joue sûrement pas en faveur d’une bonne compréhension de la Chine de la part des Français. L’affaire récemment révélée par les médias au sujet de M. Henri n’a en fait rien de nouveau. Elle avait déjà été mentionnée dans le livre Les Diplomates-Derrière la façade des ambassades de France écrit par Franck Renaud et paru aux éditions Nouveau Monde. Heureusement, les jeunes Français sont désormais immunisés contre ces fake news. Il n’y a pas longtemps, j’ai rencontré des étudiants français qui ont obtenu la bourse Wu Jianmin et qui m’ont parlé de l’affaire Li Li. Beaucoup d’entre eux m’ont dit : « Rassurez-vous M. Zheng, nous sommes vigilants avec les médias et nous sommes capables de distinguer les vraies informations des fausses informations. » Pourvu qu’il en soit ainsi !
 
 
﹡ZHENG RUOLIN est un ancien correspondant à Paris du quotidien Wen Hui Bao de Shanghai et l’auteur du livre Les Chinois sont des hommes comme les autres aux éditions Denoël.

 

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