A l’aube de l’olympisme moderne— Regard d’un écrivain chinois sur le Manifeste olympique

SHEN DALI

VERS la fin du XIXe siècle, à l’âge de 29 ans, Pierre de Coubertin a fait la lecture de son Manifeste olympique. Comme l’a dit M. François d’Amat, détenteur du manuscrit de ce document : « Il faut admettre que dans cette nuit du 25 novembre 1892, une aube se levait déjà sous la grande flamme symbolique et dorée dont le courageux baron espérait la lumière en appelant au rétablissement des Jeux olympiques. » Cent-seize ans après, la flamme des Jeux olympiques de Beijing 2008 a été relayée à travers les cinq continents de notre planète, ravivant une espérance profonde chez des milliers et des milliers de gens.
Je crois utile d’adopter une approche axée sur le tao, qui est, en Chine, l’essence des trois systèmes de pensée que sont taoïsme, confucianisme et bouddhisme, afin de pénétrer plus en profondeur l’olympisme. Zhuang Zi, philosophe taoïste du IVe siècle avant J.-C., affirmait dans son essai métaphysique ayant pour titre Intelligence voyage dans le Nord : « Le yang actif du Ciel– et –Terre, c’est le souffle. » L’art du souffle s’appelle le qi gong. Selon le taoïsme, le « gong intérieur » forme l’esprit et le « gong extérieur » le corps. L’harmonie du yin et du yang, voilà le mystère du tao. Je compare volontiers les éléments essentiels de la philosophie olympique aux deux aspects du tao chinois, le sport étant le yang et la culture, le yin. Le yang et le yin se voient attribuer une action concertante et fusionnent en une suprême harmonie. Là, on voit bien que loin de représenter deux catégories diamétralement opposées, sport et culture sont consubstantiels comme les deux membres d’un couple qui, par condensation, engendrent une nouvelle vie.
En alliant le sport et la culture dans l’harmonie du corps et de l’esprit, le promoteur de l’olympisme moderne, Pierre de Coubertin, indiquait :
« L’olympisme poursuit le développement harmonieux du corps et des facultés mentales, mais aussi des qualités culturelles et artistiques de l’homme dans le but de favoriser la compréhension et l’amitié à travers l’union du sport, de l’art et de la culture. »
Je suis heureux de découvrir par là qu’il existe, depuis l’Antiquité, des affinités profondes entre la Chine et l’Occident pour former le corps-esprit en unité. Pourtant, différente du mode de pensée occidental que j’appellerais « analytique » , la Chine porte une conception synthétique, adoptant une approche d’ensemble qui consiste à lier les différentes parties d’un tout en un bloc unifié.
Il s’agit là d’une pensée circulaire qui met en évidence les relations générales des êtres de l’univers. Lao Zi a dit : « Le tao en mouvement conduit nécessairement à son contraire. » Ou encore : « A son apogée, l’être commence à faillir. » A mon sens, l’idée de Lao Zi s’applique aussi au domaine sportif. Si la devise Citius – Altius - Fortius n’est pas défendue conformément à l’esprit olympique, cela aura des conséquences fort néfastes. Il se peut que Fortius conduise à la force brutale, qui se manifeste hélas dans de nombreux matchs de football, sans parler de ce fléau qu’est le dopage.
A l’heure du défi ouvert par l’aube du troisième millénaire, l’homme aspire à un ailleurs, loin de la poussière rouge de ce bas monde, un autre univers évoqué dans le fameux roman chinois classique L’Ombre des fleurs derrière le rideau. A ce sujet, Shen Xiu, maître bouddhiste de la dynastie des Tang (618-907), a laissé à la postérité le poème suivant :
Notre corps est comme l’arbre de la Bodhi.
Notre esprit est comme un miroir précieux,
Aussi devons-nous chaque jour l’épousseter,
Afin que la poussière ne s’y dépose pas.
Je souhaite donc que l’enseignement de ce maître de la lignée de Bodhidharma puisse éclairer l’olympisme moderne pour que nous allions, tous ensemble, au devant de « la grande fête du printemps humain », tant espérée par le baron de Coubertin.
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